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est lettre close pour l’œil et l’oreille d’un idiot, d’un rustre, ou même d’un homme simplement vulgaire ? Le langage est encore un autre fait propre à l’homme, et si l’on équivoque ici comme pour l’institution politique, en disant que l’animal parle aussi à sa façon, il n’est pas difficile de montrer qu’entre le langage des animaux et le langage humain il n’y a pas moins de différence qu’entre la société des bêtes et la société des hommes. Et cette différence consiste surtout en ce que, dans l’un comme dans l’autre cas, c’est la nature seule qui engendre le fait animal, tandis que c’est l’art, c’est-à-dire l’esprit, qui crée le fait humain. On se lasserait d’énumérer, sans en épuiser la liste, toutes les œuvres, toutes les institutions, tous les sentimens, tous les instincts propres à l’homme et étrangers à l’animal. L’humanité se révèle jusque dans les actes les plus simples de la vie matérielle. Où a-t-on vu l’animal bâtir des maisons, labourer la terre, élever des troupeaux, en perfectionnant sans cesse et l’œuvre elle-même et les instrumens d’opération ? Rien de pareil ne se remarque même chez cette espèce de singes qui occupent le haut de l’échelle animale, et que certains naturalistes nous donnent pour ancêtres.

Il est une objection capitale à faire à la méthode des naturalistes. Quand elle aurait ainsi rassemblé tous les caractères distinctifs de l’espèce humaine, tels que nous les révèlent les manifestations diverses de sa vie extérieure, il resterait encore à connaître le principe interne de ces manifestations qui lui sont propres. Sans parler des œuvres qui ne font que manifester telle ou telle faculté corporelle, il ne suffit pas de noter, par exemple, que l’homme seul a le langage pour donner une juste idée de sa supériorité sur l’animal. N’y a-t-il pas une école qui soutient encore aujourd’hui que le langage est d’origine divine ? Alors, si la supériorité de l’homme sur l’animal tient au langage, elle se réduirait à un pur accident, résultat d’un don gratuit. La vérité est que l’homme parle parce qu’il pense, c’est-à-dire abstrait, généralise, juge, raisonne, tandis que l’animal ne pense pas, dans la véritable acception du mot, étant incapable de ces diverses opérations. La supériorité du langage humain sur le langage animal tient donc à la supériorité de l’intelligence de l’homme sur l’intelligence de la bête. Voilà ce que ne fait point voir la méthode d’observation employée par les naturalistes.

Cette méthode n’entre pas davantage dans la nature intime de l’homme quand elle arrive à le définir un animal moral et religieux. D’abord, en procédant comme elle fait par pure expérience historique, elle s’expose à confondre les caractères essentiels et permanens avec les caractères accidentels et transitoires de la nature