Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caractère moral, en ce sens qu’en se corrigeant et en se perfectionnant ils n’obéissent à aucune idée de loi et de devoir. C’est le contraire chez l’homme. Tandis que l’expérience de l’histoire animale démontre qu’il n’y a nul signe de moralité et de religiosité chez l’animal, même considéré dans ses espèces supérieures, l’expérience de l’histoire humaine établit que ces caractères ne manquent à aucune des variétés de notre espèce, pas même aux peuplades les plus voisines de l’animalité que les voyageurs ont pu observer dans le centre de l’Afrique et dans les îles les plus sauvages de l’Océanie. Ainsi nul animal n’est et ne devient moral ni religieux, quelle que soit sa supériorité naturelle, quel que soit le progrès de son éducation ; tout homme est et reste moral et religieux, quelle que soit son infériorité native ou sa dégradation : voilà ce que l’expérience atteste partout et toujours, sans une seule exception. Telle est la définition psychologique à laquelle aboutit la méthode d’observation qui procède par la statistique.

En supposant la statistique exacte et complète, un pareil résultat n’est point à dédaigner. C’est quelque chose que de voir vérifiée par l’expérience proprement dite une révélation qui nous a déjà été faite par le sens intime ; car, si l’on rencontre des doutes jusque dans le domaine de la conscience sur la réalité de certains phénomènes psychiques, on n’en rencontre jamais dans le domaine de l’expérience, du moment que celle-ci a parlé clairement. On peut contester la valeur et la portée de tels ou tels signes auxquels l’historien ou le voyageur aura attaché un peu légèrement un caractère de moralité ou de religiosité ; mais, si ces signes deviennent manifestes, il n’y a plus qu’à s’incliner devant le fait historique observé, tandis que les révélations du sens intime trouvent encore des contradicteurs, par cela même qu’elles peuvent être considérées comme plus ou moins personnelles. C’est ce qui fait dire, à tort selon nous, à certains psychologues de l’école historique, que la moindre observation sur la vie morale d’un Papou a plus de prix pour la science que l’analyse abstraite d’un phénomène psychique, fût-elle faite par un Aristote ou un Maine de Biran. C’est là en effet de l’observation positive s’il en fut. Une pareille psychologie, la plus populaire de notre temps, n’a pas seulement un charme tout particulier par la nouveauté et le relief de ses révélations ; elle a un intérêt scientifique qui lui est propre, en ce qu’elle sert à confirmer par une véritable expérience les enseignemens intimes et plus ou moins personnels de la conscience.

Mais faut-il délaisser ces enseignemens pour la psychologie vers laquelle incline l’esprit de notre temps ? Faut-il réduire, ainsi que le veulent M. de Quatrefages et l’école des naturalistes, tout