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forte raison convenait-il que le successeur de Vespasien eût les traits de son père, ce qui était beaucoup plus vraisemblable. Le second type est plus libre, plus original : c’est le vrai Titus, représenté sans fiction politique. La sculpture offre moins de divergence. Si la statue du Vatican, celle du musée de Cologne, rappellent les traits de Vespasien, la statue, le buste colossal, le buste avec la cuirasse ciselée, qui sont au Louvre, sont conformes aux médailles de la seconde série. Le buste en bronze qui était jadis au château de Richelieu, et qu’on trouvera au premier étage du palais du Louvre, présente la même sincérité.

Le front est saillant, d’une convexité marquée, couvert de rides ; il trahit l’effort, l’application, la tension d’esprit. Les yeux sont larges, distans, d’une douceur étudiée. La bouche est affectueuse, les lèvres ont de l’abandon et un certain relâchement ; le menton est moins accusé et moins fin que celui de Vespasien. Le cou est énorme, plein de sève, comme celui d’un taureau ; on y sent le tempérament d’un viveur. Les cheveux sont courts ; de petites mèches aplaties et multipliées s’appliquent sur la tête. Le nom de Titus est resté attaché à ce genre de coiffure. Le galbe du visage est plein, un peu lourd, plutôt carré. L’expression est facile, aimable, persuasive ; on sent la candeur alliée à la mansuétude, le laisser-aller s’unissant à une bonté naturelle ou acquise, d’autant plus méritoire si elle est acquise. Enfin le type, dans son ensemble, n’est point aristocratique ; il est plébéien, athlétique, et fait penser à un beau pâtre des Apennins plutôt qu’à un césar ; il est même si peu Romain qu’il suffit d’ajouter, en imagination, la moustache traditionnelle, pour le transformer en Gaulois. Or les Flaviens étaient originaires de la Cisalpine, et la Cisalpine avait été peuplée par les Gaulois. Enfin le caractère dominant est la ténacité, le dévoûment à une idée fixe, la poursuite attentive d’un but, mais non la violence ni la cruauté. Il est évident, d’après les traits, que l’âme de Titus était douce, qu’elle ne s’est tendue que par l’action de la volonté, forcée au mal que par calcul, résolue au crime que sous l’étreinte d’un puissant intérêt. Une passion l’avait envahie, passion étrangère à la nature et contractée dès l’enfance dans un milieu malsain, passion dévorante qui déforme les plus heureux esprits, les aveugle, les pousse à commettre froidement tous les excès, et les absout en leur promettant qu’ils seront au-dessus des lois et des hommes. Cette passion, c’est l’ambition. Par ambition, Titus, répudiant pour un temps ses qualités natives, a développé ou affecté les vices contraires ; il était bon, il s’est fait méchant. Dès lors la politique qui l’a inspiré devient manifeste ; elle est plus habile que louable, plus profonde que neuve : il a voulu imiter Auguste. Auguste s’était