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explication ne fut nécessaire. Il suffit que Titus s’écriât : « Me voici, mon père, me voici. » Les deux cœurs se sentirent toujours d’accord. Vespasien n’avait point oublié que son fils seul l’avait fait tout-puissant. Titus était convaincu que son père n’avait accepté la toute-puissance que pour la partager avec lui.

Dès ce jour en effet, tout est commun entre le père et le fils, les apparences aussi bien que la réalité du pouvoir. Titus a les titres et les droits césariens, imperator, consul, censeur, tribun, pontife. Vespasien avait refusé la puissance tribunitienne, qui constituait sacrée et inviolable la personne du souverain : c’était une faute que Titus lui fit comprendre. Tous les deux se firent aussitôt donner par le sénat cette inviolabilité, qui était la force morale des césars et motivait la loi de lèse-majesté. Les monnaies de l’an 72 donnent en effet cette qualité à Titus. Ce n’est pas assez de dire qu’il était un successeur désigné ; il était véritablement associé à l’empire : il y mettait la main, il y veillait, particeps et tutor, non pas en secret, mais publiquement, officiellement, de même qu’il s’asseyait partout sur le trône à côté de son père. Il avait alors trente ans. Homme fait, général glorieux, accoutumé à commander seul, ambitieux de naissance, politique déjà mûr, il avait sur l’esprit de Vespasien d’autant plus d’influence que Vespasien faisait le sceptique ou le plaisant. Ce fut pour complaire à Titus que Vespasien célébra par un pompeux triomphe la soumission de la Judée. Depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil, monté sur le même char que son fils, il subit les fatigues de cette longue cérémonie ; on le voyait s’essuyer le front de temps en temps, on l’entendait murmurer entre ses dents : « Suis-je assez fou à mon âgé ! Je n’ai que ce que je mérite. » En toutes choses, il acceptait les conseils d’un fils dont il reconnaissait le mérite, dont l’ascendant lui paraissait doux, qui le rajeunissait en lui communiquant sa propre chaleur ou ses vastes espérances. Sur deux points seulement, il se montrait un maître jaloux : l’administration proprement dite et les finances. Modèle des fonctionnaires, il se réservait les minuties qui font un état bien réglé et que Titus lui abandonnait avec joie ; fils d’usurier, financier dans l’âme, il poursuivait avec une insatiable cupidité l’or qui devait soutenir son gouvernement. Son fils savait mieux que personne combien à Rome étaient nécessaires les trésors que son père entassait : il devait en profiter lui-même un jour, il entassait de son côté ; sa délicatesse ne se révoltait que sur le choix des moyens. Il lui répugnait de voir l’empereur se salir ou se couvrir de ridicule par certains expédiens. Ses remontrances sur ce sujet le trouvaient railleur et intraitable. On sait comment Vespasien lui mit un jour sous les yeux le premier produit de l’impôt sur les urines, dont il