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extrémités par les cruautés des procurateurs impériaux, c’était un acte de férocité inutile. On conçoit que le sénat de la république eût semé le sel sur Carthage quand Carthage pouvait se relever et menacer de nouveau la puissance de Rome ; mais Jérusalem n’avait été ni un danger ni un exemple contagieux pour l’univers enchaîné. Titus a cédé ou à un ressentiment personnel ou à un désir plus inhumain encore de frapper les esprits par un coup terrible. Il voulait apparaître aux citoyens romains comme un foudre de guerre et un exterminateur. Il leur apprenait quel sort attendait désormais une cité qui oserait se révolter contre la famille des Flaviens.

L’hiver était arrivé ; la mer était fermée pendant toute la saison aux navigateurs prudens ; Titus attendait le printemps. Il jouit de sa puissance, distribua les grades et les récompenses à ses soldats, et se promena en Asie comme un triomphateur. Les peuples lui prodiguaient la pâture dont s’enivrent les despotes novices, fêtes et adoration. Titus à son tour prodiguait les faveurs et des spectacles sanglans dont les pauvres Juifs faisaient les frais. Il tramait derrière lui un grand nombre de prisonniers, décimés par la fatigue, la maladie, la misère. Pour diminuer encore les embarras d’une telle suite, il en força 2,500 à s’entr’égorger dans l’amphithéâtre de Césarée avec le titre de gladiateurs. Il en fit tuer 2,500 autres à Béryte, pour célébrer le jour de la naissance de son père. Toutes les villes importantes de la Syrie eurent successivement leur part de joie, et, comme elles détestaient les Juifs, elles purent se réjouir à leur aise de voir couler leur sang. Les chefs cependant et l’élite des captifs furent épargnés, soignés, embarqués à l’avance, envoyés à Rome pour parer le triomphe que se promettait le destructeur de Jérusalem. Ce faste et ces allures tyranniques effrayaient à Rome ; les alarmes redoublaient lorsqu’on apprenait les privilèges accordés au roi Agrippa et à sa sœur, la réception des ambassadeurs parthes apportant les vœux de Vologèse, la consécration du nouveau bœuf Apis par Titus, qui, pour obéir à l’usage égyptien, avait ceint le diadème royal. Les habitans de l’Italie, dont l’oreille était tendue vers l’Orient, craignaient que Titus ne fût entraîné par Bérénice comme Antoine l’avait été jadis par Cléopâtre et qu’il ne voulût diviser le monde. On prévoyait de nouvelles dissensions civiles. Vespasien seul ne ressentait point ces inquiétudes. Il connaissait trop bien l’ambition de son fils, de même que Titus savait trop quelle était l’affection de son père et son détachement des grandeurs. Il eût été insensé de garder avec péril la moitié de l’univers quand l’univers entier devait lui appartenir sans obstacles. Aussi, lorsque Titus toucha la plage de Blindes, trouva-t-il Vespasien, qui était venu à sa rencontre, comme un lieutenant au-devant de son empereur. Aucune