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gasconne, une vieillesse aimable, le mépris des courtisans, la satisfaction de jouir des biens tardivement acquis.

Appliqué, exact, modéré, Vespasien était en effet un administrateur à son poste plutôt qu’un césar. Il était le modèle d’un préfet de Rome et se croyait encore gouverneur de province. Levé avant le jour, il se faisait lire les lettres et les rapports, s’habillait lui-même en causant avec ses amis, donnait audience, expédiait les affaires ; ce n’était qu’après les avoir expédiées qu’il se faisait promener en litière ou se reposait. Il avait perdu sa femme et repris une ancienne maîtresse qui était une affranchie et s’appelait Cœnis. Lorsqu’elle fut morte à son tour, il prit des concubines qu’il choisit sans vergogne, et dont il forma une sorte de harem ; ce fut son seul luxe, ridicule à son âge, mais qui parut un scandale assez innocent auprès des terribles fantaisies de ses prédécesseurs. Après la sieste, le bain ; après le bain, le souper. C’était le moment où il montrait le plus d’indulgence et l’humeur la plus douce : les gens de sa maison en profitaient pour présenter leurs requêtes ou enlever les faveurs. Il aimait à faire le plaisant jusqu’à la bouffonnerie ; ses propos de table étaient grossiers jusqu’à l’obscénité. Par là se trahissaient sa mauvaise éducation et sa nature vulgaire. Aussi n’avait-il aucun mérite à rester insensible aux flatteurs ou à rire des généalogistes du temps qui voulaient le rattacher aux dieux. En vrai parvenu, il ne pouvait s’asservir aux convenances ; hostile à toute étiquette, il déclarait que la représentation était pour lui une gêne, la grandeur un supplice. Il retournait avec joie dans la petite maison de campagne que possédait sa famille dans la Sabine ; il buvait dans la coupe de son aïeule Tertulla de préférence aux coupes d’or ou d’argent.

Le vice capital de Vespasien était la cupidité ; il n’était pas avare, il était insatiable, défaut royal assez fréquent chez les princes qui ont manqué de tout et veulent s’assurer de l’avenir : il leur semble que la richesse est une protectrice qui survivra même à leur puissance. Les modernes parlent quelquefois de l’avarice de Vespasien, trompés par le mot latin avaritia, qui signifie cupidité. Vespasien était rapace, et tous les moyens lui étaient bons ; c’était dans le sang, il était fils d’usurier. Mucien, par son ordre, avait commencé à remplir le trésor impérial à la faveur de la guerre civile. À peine arrivé à Rome, l’empereur déclara qu’il lui fallait 800 millions comme nerf d’un bon gouvernement. Il rétablit les impôts les plus lourds, doubla le tribut des provinces, vendit les honneurs, les exemptions, les grâces, ne recula pas devant les trafics sordides, fit le métier de brocanteur, se servit de sa maîtresse Cœnis pour rançonner les ambitieux, éleva aux plus grands emplois des coquins