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et de vertu quand son intérêt le commandait, il séduisait ses inférieurs, ses collègues, ses rivaux. Par malheur, le seul avec lequel il fût en mauvais termes était précisément Vespasien ; il ne lui pardonnait pas d’avoir obtenu le commandement de la guerre de Judée, qu’il avait espéré. Sa jalousie pouvait être funeste, car il commandait quatre légions ; il avait su s’en faire aimer en même temps que les maintenir sous la discipline. Il était connu depuis longtemps de tous les princes d’Asie ; il parlait avec une adresse merveilleuse ; il excellait à préparer les ressorts de toutes les affaires ; lui-même pouvait prétendre à l’empire. Il avait naturellement des allures de césar et tout ce qui peut imposer à la multitude, un air de grandeur, l’habitude de la munificence, un faste qui le rehaussait au-dessus de la condition privée. Vespasien au contraire était sans dehors, vêtu comme un simple soldat, gueux et d’une avidité qui le faisait ressembler à un courtisan affamé plutôt qu’à un futur maître du monde.

Titus fit sonder le terrain par des amis communs. Sa démarche pleine d’humilité toucha un esprit hautain : rendre visite le premier à Mucien, c’était lui rendre publiquement hommage. Bien accueilli, Titus fit un chemin rapide ; il usa avec tact de tous les moyens de plaire qu’il tenait de la nature ou de l’art, sut concilier les intérêts opposés, adoucir les blessures de la vanité, faire tomber un à un tous les griefs. Mucien fut conquis par la douceur du négociateur et par son effusion. On en vint à promettre que Vespasien serait désormais un frère pour son bienfaiteur, Titus un neveu et presque un fils. Mucien pouvait donner l’empire : Titus le lui avouait, et il disait la vérité. Ce rôle plut à une âme à la fois indolente et orgueilleuse, qui s’accommodait d’un désintéressement sans péril et d’une générosité sans exemple jusque-là dans l’histoire. Déjà vieux, sans enfans, il n’eût régné que pour adopter un successeur ; il jugea plus court de revêtir de la pourpre le père de Titus et de Domitien ; il jugea plus glorieux d’étonner le monde. Dès lors il fut un auxiliaire tout-puissant. Non-seulement son adhésion entraîna l’Orient, mais, chose singulière, son éloquence persuada le seul homme qui s’opposât sincèrement à l’entreprise : cet homme, c’était Vespasien.

Vespasien, heureux et satisfait de la vie des camps, ne souhaitait pas d’autre fortune que de mener à bonne fin la guerre qui lui était confiée. Loin de partager les espérances de son fils, il fut le principal obstacle à ses complots. Nous l’avons vu faire prêter serment à Othon par son armée ; dès qu’il eut appris l’avènement de Vitellius, il fit prêter serment à Vitellius. Il mit à ces deux actes l’exactitude et l’empressement d’un fonctionnaire, sans égard pour les suggestions de Titus. Il chérissait son fils, il blâmait ses idées. Trop doux pour