Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moral d’un être. Pourquoi faut-il que ce qu’il peint si bien ne soit pas toujours bien observé ? Nul n’a mieux su composer une phrase élégante de mots vulgaires, ni donner à la recherche l’apparence de la simplicité. C’est montrer la belette et la souris que de les appeler : « dame belette au long corsage, » et « la gent trotte-menu. » On oublie l’histoire naturelle à l’entendre dire : « la tourterelle au col changeant, au cœur tendre et fidèle, » et cependant la fidélité est rare chez ces oiseaux. C’est à l’amitié pure et non à l’amour que doivent se rapporter ces vers :

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre.
L’un d’eux, s’ennuyant au logis,
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.

Les pigeons amoureux ne s’ennuient guère (et quels amoureux s’ennuient ?) ; mais la constance, en cette espèce, n’aide point au plaisir. On s’est trop attendri sur leurs douleurs. Ils ont usurpé leur réputation, que beaucoup d’oiseaux mériteraient davantage, même quelques insectes, et singulièrement les papillons. Béranger l’avait appris, et il fait dire à la tourterelle :

Quoi ! les papillons sont constans !
Et c’est nous qu’on prend pour modèles !
Même il se peut qu’ils soient fidèles :
Le papillon vit peu d’instans.

Les animaux que La Fontaine pouvait observer de près lui sont même médiocrement connus. Il est trop sévère pour le chien, qui lui paraît très sot. Le lièvre, qu’il peint d’un mot, a l’animal à longues oreilles, » s’enfuit, dit-il, dans sa tanière. Or les lièvres qui vivent sous terre sont peu communs. Dans les fables, on ne rencontre que de ceux-là. C’est un grand hasard. Les lièvres habitent les fourrés et les blés, dont ils aiment la tige verte. Ils ne dorment pas « les yeux ouverts, » et cette précaution leur serait peu utile, car ils ont de mauvais yeux qui sans cesse les exposent aux dangers dont les garantissent leurs fines oreilles. La réunion d’une vue très basse et d’une allure très rapide est pour eux une source de malheurs infinis : pour échapper aux chiens et aux hommes, ils doivent déployer une habileté que La Fontaine n’admire pas assez. C’est comme faible et poltron, même comme un peu bête, que le lièvre apparaît dans les fables, témoin le pari qu’il perd contre la tortue. Il est au contraire assez intelligent et très cruel.

La Fontaine met souvent une apparente précision dans son récit. Il l’accompagne de circonstances et de réflexions qui semblent annoncer une véritable prétention à l’exactitude. La fable du renard anglais adressée à Mme Hervey s’ouvre par un bel éloge de