Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/674

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

français. Il n’eût point attaqué un courtisan, mais il peignait dans le renard le courtisan idéal, celui qui sait le monde, maître de ses yeux, de son geste et de son visage, prêt à faire sa cour aux dépens de ses amis, louant du roi jusqu’à ses faiblesses et trouvant que ses scrupules, s’il en a, « font voir trop de délicatesse. » M. Taine a extrait des fables une sorte d’histoire des mœurs du temps, au risque de l’inventer quelquefois. M. Franceschi écrit au contraire l’histoire du lion en qualité d’animal. Il le montre gagnant d’abord sa couronne et détrônant le léopard. Il raconte ce règne un peu dur, laissant au lecteur le soin de faire les applications. Il y place les divers épisodes de la vie du lion, le tribut des bêtes enlevé à Alexandre, la clémence envers le rat, son sauveur, dont la mort eût été si inutile, puis le grand événement du règne, la peste, et enfin la mort du roi des animaux, tué par la mouche et insulté par l’âne. De même l’ours, jeune d’abord dans les fables, grandit sans embellir, se trouve à la cour et s’émancipe avec la lionne, je veux dire la reine. L’histoire du loup vient ensuite ; sa querelle avec le cheval, son déguisement, sa conversation avec le chien, sa maladresse avec le biquet, sa rencontre avec l’agneau, tout est retracé. Le livre se termine par le portrait du renard : « l’inné prestidigitateur idoine si en voleries joyeuses qu’il y semblerait en son élément comme l’oiseau en l’air et le poisson en mer, et ne sont sûrement iceux mieux taillés pour fendre, l’un l’espace et l’autre l’onde, que n’était, lui, pour affiner les gens. »

C’est un jeu d’esprit qui prouve mieux que tous les commentaires combien les animaux du poète sont vivans. M. Franceschi ne s’est point pris de passion uniquement pour le talent de l’écrivain, ni pour les animaux tels qu’ils sont, mais il aime les créations du fabuliste comme des êtres réels. De même on pourrait écrire la vie de chacun des personnages que Balzac faisait intervenir dans ses romans. Si M. Franceschi appelle dans le titre du livre ces bêtes fabuleuses, cela ne veut point dire qu’il les assimile aux dragons, aux chimères, aux licornes, mais qu’il sait que ce sont celles de la fable et non celles de la nature. Il n’en raconte pas moins l’histoire du renard et du corbeau avec une conviction apparente. Il admire, comme La Fontaine et comme Goethe, cet emblème de la finesse et de la ruse. Pourtant, dans ce dialogue même du corbeau et du renard, combien d’invraisemblances on pourrait relever ! Ce sont deux animaux carnivores pour lesquels un fromage serait un maigre régal, et qui préfèrent au laitage la chair des chats, des poulets et des lapins. Le corbeau n’est point sot, s’apprivoise rapidement et apprend les langues aussi bien que le perroquet. Quelques observateurs ont prétendu qu’il sait même le sens de plusieurs des mots qu’il prononce. Buffon le présente comme si habile et si vorace, qu’il