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pavé, l’ours n’aura point agi par maladresse ; il avait vraiment l’intention de le tuer, et la mouche n’était qu’un prétexte.

Le loup n’est pas mieux traité. Sans doute cet animal est traître et cruel dans la réalité comme dans les fables. Il mange les moutons sans scrupule et ne leur donne pas de bonnes raisons pour excuse ; mais l’agneau n’a pu lui offrir l’occasion rapportée dans la fable où ils figurent tous deux :

Un agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.


Jamais un agneau, surtout s’il tette encore sa mère, et celui-ci en convient lui-même, ne s’est désaltéré dans un ruisseau. Les béliers, les moutons, les brebis, ont rarement soif. Si peu qu’on ait habité la campagne, on le sait, et les agneaux ne boivent point, trouvant dans le lait de leur mère et dans le suc des herbes tendres une humidité suffisante pour leur goût et leur tempérament. C’était donc peut-être un mouton, mais point un agneau de lait que le loup a rencontré. Il l’a mangé, soit ; mais en bien d’autres fables le loup est plus cruel que dans la nature et surtout plus bête. C’est un préjugé que La Fontaine avait tiré du Roman du Renard. Ce roman, fort célèbre autrefois et qui exerce encore la sagacité des érudits, est une épopée en l’honneur du renard au détriment du loup. Le renard, qui ne s’appelle renard que depuis ce temps, et le loup, qui s’y nomme Ysengrin, nom qui n’a point prévalu, y sont représentés comme parens. C’est de la baguette d’Eve qu’ils sont nés l’un après l’autre, car, dans le roman, la femme créait les animaux sauvages, et l’homme les plus doux. Le loup et le renard ne sont donc pas absolument différens. Dans l’ancien récit, ils font assaut de ruses, tandis que La Fontaine a fait de l’un l’emblème de l’habileté, de l’autre celui de la sottise, Ésope lui en avait donné l’exemple, et il le suit docilement. Une ou deux fois pourtant il a essayé de secouer le joug, et une fable commence ainsi :

Mais d’où vient qu’au renard Ésope accorde un point,
C’est d’exceller on tours pleins de mâtoiserie ?
J’en cherche la raison et ne la trouve point.
Quand le loup a besoin de défendre sa vie,
Ou d’attaquer colle d’autrui,
N’en sait-il pas autant que lui ?


L’intention de venger le loup est excellente ; mais ce prologue précède une fable, tirée de Phèdre, où le loup est précisément dupé de la façon la plus humiliante par le renard, qui ne lui est au fond supérieur que par la physionomie. Le loup est le plus audacieux de tous les ennemis de l’homme, et, moins fort que le tigre et le lion, il est obligé pour vivre d’user d’une certaine circonspection. Il est