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crie au moindre danger. Quand les petits sont nés, il les accompagne, les garde et les instruit. Il prévient la mère si l’homme approche, et tous deux s’enfuient dans des directions différentes : l’un, lentement et avec une maladresse affectée, se fait suivre, tandis que l’autre rapidement s’échappe, et par un long détour revient en courant chercher les petits.

Prendre la perdrix mâle pour la femelle, ce n’est pas bien grave. Une telle erreur ne saurait nuire au charme du récit, à cette manière de narrer à laquelle on ne s’habitue point, disait Mme de Sévigné. Il en est d’autres plus faites pour désoler les naturalistes. Voici une fable, la première de toutes : la Cigale et la Fourmi, dans laquelle on trouve une invraisemblance presque à chaque vers, et qui viole sans cesse la règle imposée au fabuliste de ne pas falsifier la nature des animaux qu’il fait parler. Parmi toutes les fables que l’on peut attaquer de cette façon, celle-ci est la plus vulnérable et en même temps la moins nécessaire à défendre, car, si le récit n’est pas très heureux, la conclusion n’en est pas irréprochable. On sait ce que pensait Rousseau de cette dure morale, et l’on en serait volontiers scandalisé comme lui, si, par une sorte de convention ou par un sentiment naturel, hommes et enfans ne savaient distinguer le vrai du faux dans les conseils de La Fontaine et apercevoir s’il parle par ironie, par plaisanterie ou du fond du cœur. Il en est un peu des fables comme des comédies de Molière, qui ne sont pas accusées d’immoralité, quoique les personnages, et les plus intéressans, ne soient pas toujours fort respectables, et que la vertu ne soit pas à la fin récompensée. Les écrivains ne se croient pas obligés de peindre le monde tel qu’il devrait être ; ils le montrent tel qu’il est, sans dire ce qu’ils en blâment ou ce qu’ils en approuvent. C’est ce que fait La Fontaine, qui devait en réalité préférer la cigale à la fourmi, l’insouciante vie du poète aux tristes bonheurs de l’avare. Il devrait tout au moins être exact.

La cigale ayant chanté
Tout l’été.


Cela ne se peut : l’été dure trois mois entiers et la vie d’une cigale ne se prolonge pas au-delà de quelques semaines. Le crime de l’insecte, si c’est un crime de chanter, a été tout au moins plus court. Pour s’en repentir, la cigale n’a pu attendre que la bise fût venue, car la bise ne vient guère qu’au mois d’octobre et de novembre, et à ce moment les cigales sont mortes depuis longtemps. Chacun sait que dès les premiers froids on n’entend plus leur chant strident et monotone, dont les anciens faisaient un cas extrême. La vraisemblance manque dès les premiers mots, et la cigale n’a pu