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hommes, cela signifie qu’elles n’en ont point du tout, car pour parler il n’en faut qu’un peu, bien peu, aussi peu que possible, et ce peu, elles ne l’ont point.

Mme de Sévigné se contentait de répondre : « Des machines qui aiment, des machines qui ont une élection pour quelqu’un, des machines qui sont jalouses, des machines qui craignent ! allez, allez, vous vous moquez de nous, jamais Descartes n’a prétendu nous le faire croire. » Il le prétendait fort au contraire, et amis ou ennemis s’y acharnaient. L’avantage est resté à ceux qui pensent, comme La Fontaine, que les bêtes ont une intelligence, inférieure à la notre sans doute, mais réelle pourtant. Il n’y a point de raison pour qu’il n’y ait pas des intelligences d’ordres différens. L’opinion contraire ! ne se soutient que par des raisonnemens hasardés. Bossuet, disciple ! de Descartes, blâme les hommes de conclure de la ressemblance des actions des bêtes aux actions humaines, et de n’attribuer à la nature humaine qu’un peu plus de raison. Il n’accorde même pas aux animaux ce raisonnement qui accompagne toujours la sensation, et qui n’est que le premier effet de la réflexion. Puis, le principe étant admis, il cite des exemples excellens qui en démontrent la fausseté, et font voir que les animaux réfléchissent, qu’ils sont pleins de finesse pour échapper aux chasseurs, capables d’être dressés par les hommes, même de s’instruire entre eux. Il ajoute qu’il semble qu’on ne puisse leur refuser quelque espèce de langage, et il conclut en leur accordant une âme sensitive distincte du corps, mais non pour cela indépendante de lui : théorie reprise à l’antiquité, et qui, pour être moins claire, moins nouvelle que la théorie de Descartes, n’est pas plus satisfaisante.

Buffon lui-même n’a pas évité une confusion analogue. Il croit au mécanisme des bêtes, auxquelles il n’accorde pas la pensée, même au plus faible degré. De simples ébranlemens physiques lui suffisent pour tout expliquer. C’est ainsi du moins que sa théorie débute ; mais bientôt, racontant ces actes qui pour lui ne sont point les résultats d’une intelligence, il s’anime, n’épargne ni les images ni les comparaisons, et prodigue les mots de jalousie, d’attachement, d’orgueil, de désir, de vengeance ; il parle du discernement des bêtes, et montre quelles différences sous ce rapport séparent une race d’une autre race. Il leur donne le sentiment, la conscience de leur existence actuelle. Il leur concède ainsi dans la pratique autant et plus que ne faisaient en théorie les adversaires de Descartes. Chez lui, le naturaliste et l’écrivain l’emportent sur le philosophe.

M. Agassiz accorde aux animaux une âme immortelle. C’est peut-être aller un peu loin ; mais on ne saurait leur refuser la mémoire, le jugement, la réflexion. Ce sont plutôt les idées générales qui leur