Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Je songe à me connaître et me cherche en moi-même.
C’est là l’unique étude où je veux m’attacher :
Que, l’astrolabe en main, un autre aille chercher
Si le soleil est fixe ou tourne sur son axe,
Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe.


Les astronomes qui pensaient au XVIIe siècle que le soleil est fixe soutenaient précisément qu’il tourne sur son axe. C’est du mouvement de translation qu’il y avait dispute, et non pas du mouvement de rotation. L’astrolabe ne servirait que très indirectement à déterminer la fixité du soleil. Enfin le mot parallaxe, qui d’ailleurs est un mot féminin, n’est pas employé ici précisément à contre-sens, mais l’idée n’est pas très claire.

Il y eut un temps où les hommes de lettres étaient peu instruits et profondément séparés des hommes de science. Avec Fontenelle, la distinction parut s’effacer. Voltaire est le premier parmi les poètes qui ait tenté de tout réunir. Par curiosité d’esprit bien plus que par système ou vanité, il fut universel. Dans ses vers, il s’attache à dire les choses comme elles sont, et il se souvient de ses ouvrages de physique dans ses œuvres les plus légères, où la fiction serait de mise. Un astronome exigeant ne reprendrait rien dans le conte de Micromégas, et l’on ne connaît pas de meilleure peinture de la décomposition des rayons lumineux, ni d’éloge mieux compris de Newton que les vers suivans :

Il découvre à nos yeux par une main savante
De l’astre des saisons la robe étincelante :
L’émeraude, l’azur, la pourpre et le rubis
Sont l’immortel tissu dont brillent ses habits.
Chacun de ses rayons dans sa substance pure
Porte en soi les couleurs dont se peint la nature,
Et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,
Ils animent le monde, ils emplissent les cieux.


On ne saurait nier que la beauté scientifique de ces vers n’en égale et n’en relève encore la beauté littéraire. Voltaire s’efforçait de respecter le principe de Boileau, qu’il faut être vrai même dans la fable. Il fait dire au lion :

De mes quarante dents vois la file effroyable !


et il a soin d’ajouter que le lion a quarante dents en effet, que l’observation en a été faite à Marseille par M. de Saint-Didier. « Quand on parle d’un guerrier, dit-il, il ne faut pas omettre ses armes. » On pourrait montrer par mille exemples combien de bons écrivains ont été préoccupés de la réalité. Nul n’y a perdu, plusieurs y ont gagné. Au contraire d’autres ont diminué leur talent et leur réputation parce qu’ils n’étaient pas des observateurs assez sévères, que, satisfaits d’une certaine forme heureuse, ils négligeaient les vérités