Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/657

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

telle étude enseigne à mieux juger un écrivain ; apprendre qu’il ne s’inquiétait point de telle ou telle chose nous met sur la voie de ce dont il s’inquiétait réellement, et de la manière dont les connaissances acquises, l’étude et la réflexion conduisaient son génie.

Le génie libre, qui n’est conduit par rien, est rare en effet, et, parmi les plus libres, celui de La Fontaine est un des premiers. Cet écrivain, qui n’a presque fait que des traductions et des imitations, est pourtant l’un des plus originaux de notre langue et de notre race. On hésite à lui trouver des maîtres et des modèles, et l’on songe peu à rechercher si le travail avait autant part que le génie dans la composition de ses fables, ou jusqu’à quel point il était guidé par des connaissances positives. Ce n’est pourtant pas un poète qui vive dans les nuages, comme quelques lyriques, et les sujets qu’il traite sont aussi proches de nous que son style est familier et paraît simple. On sait pourtant que ce naturel extrême ne lui venait point naturellement. Je fabrique à force de temps, dit-il quelque part[1] ; mais fabriquait-il tout à force d’imagination, et négligeait-il la vérité des choses ? C’est une comédie qu’il faisait, une comédie à cent actes divers. Or une des conditions, un des mérites de la comédie, c’est d’être vraie. Les auteurs comiques prétendent peindre la nature humaine ; les hommes aussi, et surtout les travers des hommes, sont le sujet des fables. Ce sont eux qui y paraissent, métamorphosés en animaux. Nul doute que le fabuliste ne doive les connaître tels qu’ils sont avant de les masquer ainsi ; mais le masque à son tour doit-il être de pure fantaisie, et les portraits des animaux sont-ils dispensés de toute vraisemblance ? On est ainsi conduit à se demander si La Fontaine s’est préoccupé de la nature animale lorsqu’il faisait parler les bêtes. Savait-il de l’histoire naturelle ce qu’on n’en ignorait pas de son temps ? A-t-il inventé quelque chose en ce genre ? A-t-il observé des traits que personne n’avait remarqués avant lui ? Il est peut-être permis de se poser ces questions en admettant toutefois que la réponse, favorable ou défavorable au poète, ne saurait diminuer le goût instinctif des enfans ni l’admiration raisonnée des hommes.


I

L’exactitude scientifique n’est pas la première qualité du poète, et cependant nul n’y doit manquer de nos jours. Gustave Planche[2]. A reproché à M. Victor Hugo d’avoir écrit ces vers :

  1. Livre XII, fable IX.
  2. Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1837.