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jours leur alvéole dans la ruche; on n’a donc pas besoin de se donner autant de peine que celui qui veut se bâtir une maison à lui, l’orner à son goût et épargner quelque chose pour ses enfans. Ce qui doit parfois aussi décourager du travail les plus intelligens et les plus laborieux, c’est que, dans la pratique de ces associations, il doit y avoir souvent violation de la justice distributive, et par suite révolte de la conscience. Le paresseux peut plonger aussi souvent que le travailleur sa cuillère dans la soupe sociale. Chacun n’est pas récompensé selon ses œuvres. De là sans doute des mécontentemens et des querelles qui amèneront des partages de plus en plus fréquens. Aussi les villages allemands, comme on en rencontre sur divers points de la Hongrie, de la Slavonie et de la Croatie, ont-ils déjà presque partout renoncé à ce régime. Les Slaves s’en tiennent encore plus souvent à l’ancien usage; mais chez eux aussi, soit en Serbie, soit dans les provinces méridionales de l’Autriche, les exemples sont déjà nombreux du partage demandé et obtenu.

L’émancipation des serfs, qui date de 1848, a dû singulièrement accélérer ce mouvement. Tant qu’a subsisté en Autriche le régime féodal, tant que la terre n’a point appartenu au paysan, celui-ci, simple tenancier, s’accommodait volontiers de la vieille communauté patriarcale, il n’en sentait que les avantages et les agrémens. Dès que l’accès de la propriété lui a été ouvert, il a commencé à la désirer, à la vouloir entière et complète, c’est-à-dire personnelle, individuelle. Il ne rencontrera dans les provinces civiles de l’Autriche, pas plus qu’en Serbie, aucune difficulté ni dans la loi ni dans la jurisprudence. Toutes les fois qu’un des membres de la communauté réclame sa part pour aller ailleurs fonder une autre famille ou chercher fortune, l’association est forcée de la lui remettre. Les tribunaux interviendraient au besoin pour assurer au demandeur le succès de sa requête. Comme la loi française, la loi autrichienne admet ce principe, « qu’à l’indivision nul n’est tenu. »

Les raisons qui partout ailleurs tendent à faire prévaloir la propriété individuelle sont justement celles qui ont décidé le législateur des confins à ne rien épargner pour y faire durer le communisme patriarcal. L’un de ces régimes dégage et développe l’individu, lui donne l’idée de nouveaux devoirs et un plus vif sentiment de son droit, le rend moins insoucieux du lendemain, moins avare de sa peine, mais en revanche plus économe de son argent et de son temps, plus patient dans le sacrifice et l’effort, mais aussi plus capable de résistance quand il voit son bonheur troublé et ses intérêts méconnus, quand il est ou qu’il se croit victime d’une injustice. Là où existe depuis longtemps ce régime, allez donc, sous prétexte d’exercices et de patrouilles, retenir les paysans, pendant près du tiers de l’année, hors de chez eux, et enlever à tout ménage