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Bien que le spectroscope, cet instrument nouveau dont la science n’est dotée que depuis quelques années, permette aujourd’hui d’explorer constamment le soleil, de reconnaître jour par jour et heure par heure les phénomènes grandioses dont il est le théâtre, les éclipses continueront à mériter toute l’attention des astronomes. C’est seulement pendant les secondes solennelles de ces nuits fugitives qu’ils pourront étudier la couronne, cette auréole étrange dont s’entoure l’astre central et qui s’étend bien loin des limites des protubérances et de l’atmosphère hydrogénée nouvellement découverte. Des observations récentes, faites par les astronomes des États-Unis, tendent à faire croire que la couronne n’est autre chose qu’une aurore boréale permanente, bien autrement vaste que celle qui jette sa lueur capricieuse autour des zones polaires terrestres. Par-delà l’hydrogène, il y en a peut-être un, plus léger, plus subtil encore, qui enveloppe l’atmosphère solaire, et dont les vibrations nous sont révélées par la coloration de la gloire qu’on aperçoit seulement pendant les éclipses.

Le sens de la vue, qui, à l’aide d’ingénieux artifices, nous a permis de découvrir la nature chimique du soleil, nous révèle sans doute dans la couronne un état matériel intermédiaire en quelque sorte entre la substance pondérable et spécifique, que nous pouvons peser dans les balances et soumettre à nos réactifs, et cette substance impondérable, sans masse, sans forme, qui remplit les espaces interplanétaires, et qui, sous le nom d’éther, ne nous est encore connue que comme le véhicule des mouvemens lumineux, calorifiques et magnétiques. Ainsi, la science humaine n’est point emprisonnée sur la terre ; par un effort prodigieux, elle s’en détache et va chercher dans le centre même de notre système cosmique des secrets que ne saurait révéler une pauvre planète, servante du soleil, masse infime, qui ne vit que d’une vie d’emprunt, d’une lumière et d’une chaleur étrangères, et d’une énergie incessamment soustraite à un foyer d’énergie lointain. Que sont nos tremblemens de terre, nos éruptions volcaniques, nos révolutions terrestres, auprès des agitations et des convulsions que j’ai cherché à peindre ? Et qu’est-ce que l’homme, si petit déjà devant sa planète, en face de cet astre devant lequel la terre est comme rien ? mais aussi qu’est-ce donc que l’esprit de l’homme, qui joue avec l’infiniment grand comme avec l’infiniment petit, et qui analyse avec autant de facilité la flamme d’une lampe et celle d’un soleil ?


AUGUSTE LAUGEL.