Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lancé verticalement dans un espace presque vide avec une vitesse formidable, et qui, refroidi, se divise et retombe en flocons capricieux et déchiquetés. J’ai assisté à ces effrayantes tempêtes solaires, dans le petit observatoire de M. Norman Lockyear, à Londres. Qu’on ne se figure point un observatoire véritable. M. Lockyear, employé au ministère de la guerre, a une petite villa dans Saint-John’s Wood, un des faubourgs de la capitale anglaise. Derrière la villa, comme dans toutes les maisons de ce genre, il y a un jardinet avec une pelouse et quelques fleurs ; c’est là, dans une petite maisonnette de bois, que M. Lockyear a installé sa lunette et travaille pendant les heures qu’il dérobe à ses fonctions, quand le soleil est assez complaisant pour se montrer à Londres. La lunette dirigée sur l’astre en suit le mouvement diurne à l’aide d’un appareil d’horlogerie ; il n’y a point d’oculaire : l’image du soleil est reçue directement au foyer, elle se dessine ronde et brillante sur une petite plaque de cuivre traversée d’une fente rectiligne qu’on peut élargir ou rétrécir à volonté avec une vis et promener sur toutes les parties de l’image. Le faisceau lumineux qui traverse cette fente tombe dans le spectroscope ; sept prismes le reçoivent successivement, placés l’un à côté de l’autre et dessinant presque une circonférence entière ; à la sortie du septième, le spectre, qu’on regarde à travers une lunette, apparaît comme une longue bande d’étoffe nuancée, irrégulièrement rayée par une multitude de stries noires verticales. Quand la fente est placée de façon à couper en même temps le soleil et son atmosphère, on a deux spectres superposés ; le ruban inférieur est le spectre solaire ordinaire ; au-dessus court un ruban noir où l’on voit apparaître de distance en distance des lignes minces colorées, l’une rouge, l’autre jaune, une autre verte, deux autres dans la région du violet. Ces pointes légères sont le spectre de l’atmosphère hydrogénée du soleil ; leur apparition sur la noire surface qui borde le spectre solaire a quelque chose de mystérieux et de saisissant ; ces traits légers sont l’image matérielle d’une couche de gaz, éloignée de millions de lieues, dont l’humble flamme semblerait devoir toujours rester invisible à côté du foyer actif de la photosphère. M. Lockyear a donné le nom de chromosphère à cette couche extérieure, parce que son spectre ne se compose que de quelques raies colorées. C’est en étudiant ces frêles apparences que la physique cherche aujourd’hui à pénétrer les secrets du soleil.

Nous avons déjà dit que ces raies décèlent tout d’abord la nature chimique de la chromosphère ; au début, on n’en a vu que cinq ou six, mais ce nombre s’est depuis augmenté. Les substances qu’on a déjà découvertes dans l’enveloppe solaire sont : 1° l’hydrogène, qui en forme presque la totalité et qui se révèle par cinq raies,