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aventurier du far-west. Où allait-il, cet homme, à travers ce désert horrible ? Se dérobait-il à un châtiment ou cherchait-il la fortune ? Les héros de cette vie misérable ne se laissent pas pénétrer volontiers ; ils parlent peu, la solitude les accoutume au silence, et le mépris du danger, un courage indomptable, leur tiennent lieu de modestie. Un sentiment de pitié mêlée d’admiration me saisit en suivant du regard le voyageur solitaire. Certes il était indépendant et libre, mais à quel prix !

Nous franchîmes un grand nombre de stations qui n’existaient encore que de nom. La monotonie du désert devenait fatigante ; la poussière et la chaleur nous incommodaient affreusement. Enfin la nuit tomba et couvrit de ses ombres le mélancolique tableau qui durant une longue journée n’avait cessé d’attrister nos yeux. A la pointe du troisième jour, nous étions rendus à Promotory-Point, où nous aurions dû arriver la veille au soir. Nous étions en retard de sept heures ; mais, comme je l’ai déjà dit, il n’y avait aucune régularité dans les temps d’arrivée et de départ ; on marchait aussi bien que possible selon les circonstances.

Promotory-Point formait au mois de mai 1869 le point de jonction entre le Central et l’Union. C’est là, comme je l’ai déjà raconté, que le dernier rail, du Pacifique avait été posé. Tout le monde descendit de voiture pour voir de près l’endroit où la mémorable cérémonie avait eu lieu. Le crampon d’or, la traverse de laurier, les boulons d’argent d’Arizona et de Nevada, tout cela, bien entendu, avait disparu, et avait fait place à des matériaux ordinaires ; mais le point de raccord des deux lignes était encore marqué par un mât de pavillon portant les couleurs des États-Unis ; on le distinguait encore à la dissemblance des poteaux du télégraphe, carrés sur la section du Central, ronds sur celle de l’Union. La traverse qui avait remplacé la poutre en bois de laurier était déjà hors de service par suite de l’enthousiasme des voyageurs qui l’avaient tailladée en morceaux pour en faire des reliques. Promotory est une localité insignifiante, et il est douteux qu’.elle acquière de l’importance. C’est un amas de misérables hangars, de chantiers et de tentes où sont entassés pêle-mêle les employés du-chemin de fer, des postes, du bureau télégraphique et d’une agence de l’Express-Company. Les villes de Corinne, de Brigham et d’Ogden, situées dans le voisinage, étouffent la croissance de la nouvelle station. Elle ne conservera pas même le faible mouvement qu’elle devait à sa position particulière ; le point de jonction sera sous peu, s’il ne l’est déjà, reporté à Ogden.

La section de Promotory à Ogden (53 milles) a été construite par l’Union ; mais elle a été cédée au chemin de fer Central, qui obtiendra ainsi en grande partie le monopole du commerce des