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Partout elle est entourée de respects et d’égards, non-seulement de la part des gens bien élevés, mais aussi de tout Américain poli ou inculte qu’elle rencontre sur son passage. Les exceptions mêmes, par l’indignation passionnée qu’elles soulèvent, prouvent combien ceci est la règle générale. Mme M… et les personnes de sa compagnie trouvèrent toujours, réservées pour elles, les meilleures places en voiture et à table d’hôte, et même les ouvriers de l’Union, à côté desquels nous voyageâmes pendant plusieurs jours, tempérèrent leurs propos et en adoucirent le ton dès qu’ils s’aperçurent de la présence d’une femme. Il y eut un moment où deux d’entre eux, se disputant et prêts à en venir à des voies de fait, sortirent de notre wagon, et allèrent vider leur querelle ailleurs sur la simple observation d’un de leurs camarades de ne pas troubler la « paix des ladies. »

Avant d’arriver au chemin de fer de l’Union, où nous devions rencontrer ces turbulens compagnons de route, nous traversâmes la partie la plus accidentée de notre voyage en franchissant la Sierra-Nevada. Aussitôt après avoir quitté Sacramento, qui ne se trouve qu’à 56 pieds au-dessus du niveau de la mer, la voie se dirige vers le sommet de la montagne. Cette ascension est d’abord peu sensible. On traverse une plaine verte et boisée où errent en liberté des troupeaux de vaches et de chevaux qui se dispersent au galop à l’approche de la locomotive. Par-ci par-là, on aperçoit une ferme au milieu d’un petit jardin. Des femmes se tiennent sur le seuil avec, des enfans autour d’elles ; mais point de travailleurs dans les champs, tout est calme et paisible, et semble prendre le repos du dimanche. Nous traversons ainsi Arcade, Antelope, Junction, Rocklin, Pino et Penryn. Après Penryn, le tableau change, le paysage devient pittoresque ; des collines aux croupes gracieusement arrondies, couvertes de grands et beaux arbres, avoisinent le tracé du chemin de fer. Dans le lointain, on découvre les hautes cimes, avant-gardes des Sierras-Nevadas. Les maisons d’habitation deviennent de plus en plus rares. La locomotive avance lentement et souffle avec violence, comme si le fardeau qu’elle traîne était devenu trop lourd pour elle. Les garde-freins sont attentifs à leur poste. La distance entre Penryn et Auburn n’est que de 12 kilomètres, et la différence en hauteur entre ces deux stations est de 267 mètres. Auburn est un joli village qui aspire à devenir une grande ville. Une église en briques rouges qui s’élève au sommet d’une colline, des maisons bien bâties et bien entretenues, des jardins remplis de fleurs, d’arbustes et d’arbres, tout indique le bien-être et la jeunesse.

Les villages américains du far-west ont un aspect tout différent des nôtres. Nos villages, à quelques exceptions près, sont le siège