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vingt-quatre heures, je trouve que MM. Meilhac et Halévy abusent un peu d’une licence que le relâchement des principes modernes autorise. Les événemens de leur comédie s’échelonnent d’années en années et de mois en mois. Cela donne à la pièce quelque chose de cahotant, et cela en ralentit un peu l’action, car il n’y a pas d’acte qui ne commence par un petit récit de ce qui s’est passé derrière la toile. Au reste, ce prologue est charmant, et les détails en sont aussi spirituels que gracieux. Tous ces personnages sont bien posés, leurs caractères sont dessinés d’une main légère, et les traits en sont à la fois nettement et finement marqués. Froufrou a surtout un mérite rare : elle est séduisante, et je connais peu d’héroïnes de théâtre dont on puisse en dire autant. Remarquez en effet comme à la scène l’intérêt est tout entier dans les situations et combien il provient rarement des personnages. Les choses se passent si rapidement pendant ces quelques heures qu’on n’a point le temps de s’éprendre de goût pour eux. On ne les aime pas, et ils ne demeurent pas vivans dans votre esprit comme des héros de roman. Eh bien ! Froufrou fait exception à cette indifférence. Dès qu’elle entre en scène, elle captive l’imagination, et l’on est impatient de voir se dérouler devant soi la suite de sa destinée, qui inspire une tendre inquiétude. Froufrou mariée n’est pas différente, comme on peut penser, de Froufrou jeune fille. La toilette, le monde, la comédie, tiennent dans sa vie une place tellement grande qu’il lui en reste bien peu pour son mari et son enfant. Elle ne peut pourtant pas conduire George aux Tuileries en portant elle-même son cerceau. Elle ne peut pas non plus suivre son mari à Carlsruhe, où il vient d’être nommé ministre. Comment imaginer Froufrou sans Paris, et Paris sans Froufrou ? Et quand Sartoris, après avoir refusé le poste qu’on lui offre, demande à Froufrou comme récompense de renoncer à son rôle dans certaine petite pièce, Indiana et Charlemagne, où elle doit jouer pour les pauvres, costumée en débardeur, elle s’écrie : Oh ! mon ami, je croyais que vous alliez me demander quelque chose de raisonnable !

Ce qui fait qu’elle tient tant à son rôle d’Indiana, c’est peut-être bien qu’elle doit avoir pour Charlemagne son ancien amoureux, M. de Valréas, qui commence à s’éprendre pour de bon. Les répétitions vont leur train, et Froufrou permet à M. de Valréas de n’omettre aucun des jeux de scène, qui sont parfois d’un goût douteux. Tout cela se passe sous les yeux d’une certaine baronne de Cambri, amie de la femme, fort peu aimée du mari, et qui joue ici un assez vilain rôle. Tant de légèreté contriste et alarme le faible Sartoris, et il profite du départ de M. Brigard, qui va applaudir à Prague les débuts d’Antonia Brunet, pour solliciter Louise, la sage Louise, de venir habiter en tiers avec eux. Froufrou joint ses instances à celles de son mari, et c’est elle-même qui installe Louise à sa place, au coin de son feu, entre son mari et son enfant.