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velles; mais les fruits de cette saison n’avaient pas été jusqu’à présent très savoureux. Ils tombaient tous avant d’être mûrs, et ces chutes successives faisaient penser aux vers de Musset :

Dans ce monde j’ai vu tomber bien d’autres choses
Que la feuille des bois et l’écume des eaux.


Cependant ce qui avait manqué à ces pièces pour réussir, ce n’était assurément ni des auteurs connus, ni des auditeurs bienveillans. Parmi la génération des jeunes écrivains, il y en a peu qui soient plus populaires que M. Cadol. Le succès un peu exagéré des Inutiles, la faveur qu’on accorde à la direction intelligente du théâtre de Cluny, avaient disposé le public aussi bien que possible. Toute cette sympathie n’a pu assurer le succès d’une pièce dont quelques scènes heureuses ne suffisent pas à racheter la médiocrité. Si convaincus qu’ils fussent, les partisans de M. Cadol n’ont pu faire que son second essai fût estimé à l’égal de son début,

Et la fausse monnaie à l’égal de la bonne.

Certes le public qui applaudissait naguère la reprise de la Fiammina ne demandait pas mieux non plus que d’assister M. Mario Uchard dans l’entreprise difficile de s’égaler lui-même; mais l’accueil fait à Tamara a fourni à cet auteur persévérant une occasion nouvelle de méditer sur cette pensée du Dante qu’il n’y a pas de douleur plus amère qu’un souvenir heureux dans les jours de tristesse. Les vertueux efforts d’un jeune homme qui travaille à se guérir du vilain péché d’ivrognerie n’ont réussi à arracher au public que des bâillemens sympathiques. Ce pauvre public! les auteurs sont si heureux quand ils peuvent s’en prendre à lui! Le mot de cabale leur est si doux à prononcer ! Je gage, par exemple, qu’aujourd’hui M. About donnerait beaucoup pour avoir rencontré dans la salle du Vaudeville, le soir de la première représentation de Retiré des affaires, le même parti-pris d’hostilité qu’il a rencontré dans la salle de l’Odéon le soir de Gaetana. Il aurait la consolation de crier à l’injustice, et il ne serait pas contraint de s’avouer à lui-même combien son talent se prête mal à mettre en scènes et en dialogues ce qu’il raconte si gaîment.

La saison promettait donc peu de beaux jours quand le grand succès de Froufrou au Gymnase est venu fort à propos pour rompre la série monotone de ces insuccès. Froufrou! quel singulier titre! Un mauvais plaisant pourrait trouver qu’il ne laisse pas d’être assez mal choisi. Quand on a obtenu, comme MM. Meilhac et Halévy, de grands succès sur de petits théâtres, quand on a fait pâmer de rire à ses lazzis l’empereur de toutes les Russies, et quand on dispute à Paul de Kock l’honneur de fournir à l’étranger des échantillons de la littérature française,