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puis- d’une représentation nationale élue par le suffrage universel, délibérant avec indépendance et autorité, quel est son idéal politique ? Demande-t-il par hasard aux électeurs parisiens de faire un 10 août, puisque c’est là son mot, pour le transformer en chef d’un comité de salut public ? Par le fait, une candidature ainsi posée, commentée par un tel manifeste, n’est plus qu’un de ces actes vainement retentissans qui ne conduisent à rien, et M. Ledru-Rollin le sent si bien lui-même qu’il a refusé obstinément jusqu’à ces jours derniers de venir appuyer de sa présence sa profession de foi d’insermenté. C’est une diversion agitatrice, voilà tout ; c’est une tentative d’effraction à distance, à travers la Manche. L’ancien membre du gouvernement provisoire s’est trompé, il a cru qu’il n" avait qu’à parler, à donner un signal ; il n’a pas vu qu’une candidature engagée de cette façon ne représentait plus que les perplexités de son esprit, placé entre l’ennui de ne rien faire et la crainte de frapper un coup dans le vide. Toujours est-il que son intervention, gauchement combinée, tout en causant des chagrins à M. Crémieux, n’aura pas peu contribué sans doute à jeter la confusion dans les élections actuelles, en faisant passer les clubs parisiens par toutes les alternatives de l’attente et de la déception. On en est aujourd’hui, si nous ne nous trompons, à la déception. Nous n’aurons donc pas M. Ledru-RoIlin, qui a vu déjà se tourner contre lui la fraction la plus sensée de son parti ; mais nous avons du moins M. Henri Rochefort, devenu tout à coup un personnage démocratique, un candidat presque inviolable, et c’est assurément aussi curieux que l’apparition de l’insermenté de Londres. Comment la chose est-elle arrivée ? Ce sera probablement un des problèmes de l’histoire, si l’histoire veut bien s’occuper de nos sérieux enfantillages.

Il y avait une fois un jeune écrivain qui ne manquait certainement ni d’esprit ni de verve ; il excellait à jouer sur les mots et tournait le sarcasme avec un mélange de bonne grâce et d’âpreté. 11 parlait légèrement, quelquefois grossièrement de tout, même des choses les plus sérieuses, et il avait ce genre de résolution qui ne s’arrête devant rien, lorsque la fantaisie lui venait un jour de faire un pamphlet où il ne ménageait ni les dieux ni les hommes ; ce fut assez pour en faire un personnage, puis un condamné pour délit de presse, puis un émigré volontaire, puis un candidat à la députation. Le malheur de M. Henri Rochefort depuis ce moment a été de se prendre au sérieux, de se croire un politique parce qu’il a été maltraité par la justice, de se croire passé maître en radicalisme parce qu’il a poussé aussi loin que possible la violence injurieuse, et de se griser des turbulens succès qu’on lui a ménagés. M, Henri Rochefort n’est ni un politique ni un radical, c’est tout simplement aujourd’hui l’enfant gâté d’une certaine curiosité populaire, et, pour dire mieux, c’est l’inconnu qu’on cherche en lui. On ne ^ait ni ce qu’il est ni ce qu’il sera, raison de plus pour le vouloir comme député dans ce royaume des Folies-Belleville où il ne peut plus paraître