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pays de l’ornière où il périra. Le second roi, qui, à Luang-Praban comme à Bangkok, siège au-dessous du premier, n’a qu’un titre sans puissance effective. C’est lui qui est parti pour assister aux funérailles du second roi de Siam. Le véritable souverain n’a pas daigné se déranger pour cette cérémonie, dont tous les gouverneurs de provinces siamoises ont reçu l’ordre de venir rehausser l’éclat; il se contente d’envoyer son tribut annuel, et ne souffre en aucune façon l’ingérence des agens de Bangkok dans les affaires de son royaume. Ses prédécesseurs avaient coutume de faire parvenir également des présens au Fils du Ciel; il a profité de la révolte du Yùnân pour supprimer cet usage, qui n’avait plus d’autre caractère que celui d’un hommage volontaire, mais dont l’origine était évidemment un tribut. Les ambassadeurs qui se rendaient de Luang-Praban à Pékin ne mettaient pas moins de trois ans à faire le voyage complet.

Il est permis de croire que cette vassalité du roi vis-à-vis de Bangkok se changerait bientôt en indépendance absolue, si son propre intérêt ne lui commandait de ménager un suzerain qui peut devenir à l’occasion un allié puissant. Les limites du royaume de Luang-Praban sont au sud le district de Sien-Kan, à l’ouest l’importante province siamoise de Muong-Nan, de l’ouest au nord-est un certain nombre de principautés tributaires de la Birmanie ou de la Chine, ou des deux à la fois, au nord-est le Yûnân, et du nord-est au sud-est le Tonkin. Du côté du Tonkin, les frontières ont donné lieu souvent à des contestations entre l’empereur d’Annam et le roi de Luang-Praban. Nous avons pu voir encore, établis dans la capitale de celui-ci, quelques soldats siamois, restes de la petite armée venue, il y a peu d’années, pour l’aider à s’emparer des contrées limitrophes du Tonkin, contrées réclamées aussi par les Annamites. De ces ambitions rivales, entretenues par un voisinage immédiat, résulte entre les Laotiens et les Tonkinois un état permanent d’hostilités. La route commerciale qui jadis unissait les deux peuples, absolument désertée aujourd’hui par les marchands, n’est plus parcourue que par les soldats. Des deux côtés, on se massacre avec un égal acharnement; une barrière de têtes coupées s’élève chaque jour plus haute entre ces malheureuses populations, condamnées au fléau de la guerre éternelle. La victoire, qui est demeurée dans la dernière campagne au roi de Luang-Praban, peut changer de drapeau ; les deux partis peuvent connaître alternativement les joies barbares du triomphe et les horreurs de la défaite; la haine n’en deviendra que plus vive, et la réconciliation plus impossible. Il faut donc souhaiter qu’une influence nouvelle vienne porter remède à cette situation sans issue, imposer la paix aux princes et cicatriser les plaies des peuples. Si l’on me deman-