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commerce de détail; encore ce commerce a-t-il beaucoup souffert de la révolte du Yùnân, qui a rendu impossibles les relations avec l’Empire-Céleste.

On se souvient peut-être qu’à Stung-Treng, notre première station au Laos, nous recevions des indigènes, en échange du tikal siamois, un certain nombre de petites barres de fer, qui variaient ordinairement entre 7 et 10 pour un tikal. A partir de Bassac, la barre de fer s’est changée en une barre de cuivre plus légère et plus commode; à Phon-Pissaï, la monnaie de billon a complètement disparu. Nous ne la retrouvons qu’à Luang-Praban sous la forme de petites coquilles blanches enfilées l’une à l’autre comme les sapèques de Cochinchine. Vingt-cinq de ces chapelets valent un tikal. Cette dernière pièce d’argent, qui régnait seule, avec ses subdivisions, dans tout le Laos inférieur, trouve sur le marché de Luang-Praban une redoutable rivale dans la roupie anglaise, à laquelle on accorde une valeur fictive égale à celle du tikal, bien qu’il y ait intrinsèquement en faveur de celui-ci une différence de 0,93 c. environ. Cette anomalie provient sans doute des relations fréquentes et directes entretenues par les négocians birmans avec ce pays; elle cesserait probablement dès la première tentative de spéculation sur le change. Quant aux piastres mexicaines, dont nous avions emporté une certaine quantité, elles sont d’un placement très difficile. Les changeurs du marché, — car il y a là de véritables exchange-offices, — s’obstinent à les refuser, et il faut trouver, pour s’en défaire, un homme de bonne volonté qui les recherche à titre de curiosité. Plusieurs gros personnages en ont pris pour les suspendre au cou de leurs enfans; ceux-ci se trouvaient alors vêtus de cette pièce de monnaie et d’une sorte de cœur en argent maintenu par une ficelle nouée autour des reins, et rendant à la pudeur le même service que lui rendent en Europe les feuilles de vigne. Un percepteur passe vers la fin du marché et prélève quelques coquilles sur chaque étalage. C’est le bénéfice du roi, car au Laos il n’existe pas de distinction entre le roi, l’état, la ville, le domaine public et le domaine privé. Cependant, si étendu que soit le pouvoir du souverain, les usages établis lui imposent des bornes, et la puissance du prince rencontre une sorte de contrôle dans l’assemblée des principaux fonctionnaires formant le conseil royal, assemblée connue sous le nom indigène de séna. Ces fonctionnaires, étant à la nomination du roi et fort satisfaits d’être arrivés, ne peuvent exercer qu’un contrôle illusoire; mais, après avoir traversé une contrée que le soleil ferait si riche et que le despotisme a rendue si pauvre, on s’attache à ces ombres d’institutions protectrices, on fait des vœux ardens pour que ces fantômes prennent un corps et tirent enfin ce