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répandu à Luang-Praban que dans les localités du Laos inférieur. Les Chinois n’y viennent plus, mais ils y ont envoyé longtemps de nombreuses caravanes. Celles-ci, comme un flot chargé de limon et qui laisserait en se retirant des souillures sur le rivage, ont inoculé à la population une partie de leurs vices. Ces négocians infatigables, qui autrefois descendaient chaque année du Yûnân au nombre de deux ou trois cents, ont renoncé à un voyage devenu trop périlleux depuis la révolte des musulmans contre l’empereur de la Chine. Ils sont remplacés par des colporteurs birmans qui approvisionnent la place de tissus de coton et de laine et du petit nombre d’autres articles européens recherchés des indigènes. Ces Birmans se font reconnaître par leur physionomie plus ouverte et plus intelligente que celle des Laotiens et par un turban légèrement incliné sur l’oreille. Ils ont les cuisses, le ventre et souvent la poitrine couverts d’un tatouage généralement bleuâtre, parfois rouge, arabesques bizarres qui effacent absolument la couleur de la peau et font à peu près l’effet d’un maillot. A la hauteur de Luang-Praban, les Laotiens ont adopté le même usage, d’où est venue probablement l’appellation de Laos ventres noirs, qui leur est donnée par les anciens géographes. Pour bien juger de la variété des costumes et des types, c’est au marché qu’il faut se rendre. Au seul aspect de cette population mélangée, le moins exercé des anthropologistes pressentirait déjà l’inextricable confusion de races et de langues qu’il va rencontrer à une faible distance de Luang-Praban. De nombreux sauvages soumis au roi arrivent tous les matins à la ville pour acheter ou pour vendre. Ils habitent dans les montagnes; leur habillement est des plus simples, si simple même pour quelques-uns qu’on n’imagine rien au-delà. Leurs cheveux, aplatis sur la tête et coupés horizontalement au niveau du front, poussent librement par derrière, et sont quelquefois relevés et noués en chignon; d’autres, plus élégans, portent une veste bleue relevée de passe-poils blancs. Tous ont le lobe de l’oreille perforé d’un trou qui mesure parfois 1 centimètre de diamètre, et dans lequel ils passent un ornement cylindrique en bois ou en métal, remplacé chez les femmes par un gros poinçon en argent à tête dorée.

Le costume de ces dernières se compose d’une veste et d’un jupon de cotonnade bleue bordée de blanc; elles ont sur la tête une étoffe de la même couleur qui s’enroule et se mêle à leurs cheveux noirs. Leurs petites figures effarouchées contrastent agréablement avec le masque hommasse des plantureuses Laotiennes, qui étalent sans vergogne une gorge déformée. Les femmes sauvages ont plus de pudeur ou plus de coquetterie. Ce n’est qu’à travers l’étoffe de leurs vestes collantes que l’œil peut suivre sur leur poitrine les contours souvent gracieux d’ondulations dissimulées. Les Laotiens, très fiers