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quelles les fidèles ont cru reconnaître des vestiges laissés sur le roc par le grand réformateur du culte de l’Inde, fondateur vénéré de leur religion. Les Siamois ont découvert des phénomènes du même genre, et le mont Phrâbat est pour les habitans de Bangkok un lieu de pèlerinage. On comprend sans peine qu’un apôtre se disant inspiré de Dieu et prêchant une religion positive cherche à assurer le succès de sa parole par des miracles : le pouvoir d’en opérer serait assurément la meilleure des procurations donnée par Dieu lui-même au mandataire qu’il aurait choisi ; si le Bouddha cependant n’est apparu sur la terre que pour montrer aux hommes le chemin du néant, on n’aperçoit guère d’où lui serait venue la faculté de provoquer un changement aux lois de la nature, comment il aurait pu, par exemple, creuser dans un rocher une dépression profonde rien qu’en y appuyant son talon. Je sais bien qu’il ne faut pas faire peser sur le Bouddha lui-même la responsabilité de ces naïves croyances; mais ces croyances existent, elles sont générales, et, contradiction bizarre, la foi des peuples se serait égarée au point de reconnaître un dieu dans celui qui serait le philosophe athée par excellence! J’ai trop le respect des esprits graves et des écrivains distingués qui ont exposé à ce point de vue dans ces dernières années la théorie du bouddhisme, pour venir contester leurs conclusions. J’accorde donc que le flambeau de l’analyse porté d’une main ferme dans les dernières obscurités de la doctrine bouddhique fasse découvrir un trône élevé au néant au fond de cet abîme; mais je ne pense pas qu’il existe un seul bouddhiste au Laos qui, se rendant un compte exact de ses croyances, en envisage ainsi les conséquences extrêmes. Dans tous les cas, et en supposant que le Bouddha ait réellement considéré la vie comme le mal suprême, cette idée ne pouvait germer que dans le cœur d’un homme profondément ému du malheur de ses frères ; ce dogme désolant avait besoin pour se développer d’un sol abreuvé de sang, et l’Indo-Chine était sous ce rapport une terre très bien préparée.

Quoi qu’il en soit, le pied légendaire de Charlemagne n’était qu’une miniature auprès du pied du dieu, dont les enjambées rappellent le chat célèbre de Perrault. Ainsi, de la berge où il a laissé la trace d’un de ses pieds, le céleste voyageur, venant visiter Luang-Praban, a posé l’autre au sommet d’un petit monticule, orné aujourd’hui en mémoire de ce fait d’un joli pavillon soutenu par dix colonnes. Le toit couvert de tuiles colorées est bordé de clochettes que le vent fait tinter; à côté, dans une grotte, le vestige vénéré est couvert de feuilles d’or. De ce lieu fort pittoresque, auquel on arrive par un escalier très raide, la vue est magnifique. D’un côté s’étendent le grand fleuve et les montagnes qui le bordent; une percée dans la masse du premier plan permet à l’œil de se perdre sur des ondula-