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vais bien souvent qu’au Laos comme en Europe l’ennui est fils de l’uniformité. Depuis Vien-Chan cependant, nous ressentions quelque orgueil de parcourir une zone vierge avant nous de toute exploration; l’ambassade hollandaise envoyée au XVIIe siècle vers le roi de Laos n’avait pas dépassé en effet la capitale où résidait ce souverain. Le fleuve seul continuait de nous intéresser par ses caprices. L’aspect varié de son lit, la couleur de ses eaux ici impétueuses, troublées et couronnées d’écume, là tranquilles et presque transparentes, les sinuosités qu’il décrit pour tourner les obstacles, l’effort qu’il fait pour les renverser, tout était dans ce spectacle imprévu ou grandiose. A la hauteur du 18e degré, le Mékong forme un coude qui n’était avant notre exploration indiqué sur aucune carte, et ne remonte au nord qu’après être resté durant près de 200 milles incliné vers le couchant. Le village de Paclaï, qui marque la fin de ce coude, est le point le plus rapproché de Bangkok où nous ayons séjourné depuis notre départ de Craché. C’est là que les caravanes venant du haut du fleuve atterrissent pour se rendre dans la capitale du royaume de Siam; c’est là également que les négocians s’embarquent pour se rendre à Luang-Praban ou dans les provinces supérieures. Cette pauvre bourgade prendrait un développement rapide, si le commerce avait quelque activité; mais il n’existe encore qu’à l’état embryonnaire. Chacun se suffit à soi-même, et Paclaï voit passer dans une année plus de fonctionnaires allant à Bangkok, ou en revenant, que de balles de soie ou de coton. M. Mouhot, notre savant compatriote, était venu à Paclaï reconnaître le fleuve avant de continuer un voyage auquel la mort ne tarda point à mettre un terme. Le portrait de ce naturaliste infortuné que nous montrons au chef du village rappelle à celui-ci une cuisante souffrance occasionnée par du vinaigre de toilette donné par le voyageur comme un excellent remède, et dont le trop crédule client s’était frotté les yeux.

Des forêts magnifiques enserrent de fort près le village de Paclaï, des ruisseaux d’eau vive courent sous les grands arbres; les oiseaux, ne se contentent plus, comme dans le Cambodge et dans le Laos inférieur, d’étaler leurs couleurs brillantes; ils deviennent artistes et commencent à chanter. Ils semblent s’associer par leurs concerts aux réjouissances que ramènent chaque année en cette saison les fêtes du printemps. Lorsque vient l’époque de les célébrer, les jeunes filles imprègnent leurs cheveux de plus de graisse de porc et de plus d’huile de ricin; elles se promènent en habits de fête, ayant dans les mains des fleurs aux senteurs violentes, et sur la poitrine une écharpe rouge moins destinée à voiler les seins qu’à faire ressortir la teinte jaune du safran dont elles s’enduisent la peau. Il fallait des manifestations de ce genre pour nous faire souvenir que