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avons beaucoup souffert par la guerre et nous souffrirons beaucoup plus encore ; c’est une juste punition pour notre complicité trop longue dans le crime de l’esclavage. » Il faut le dire aux Cubains, ils ont le même crime à expier. Pendant que leurs fortunes se faisaient par l’esclavage, ce système odieux, soutenu selon les idées du temps par la mère-patrie, lui imposait des charges dont on serait étonné, si on en faisait le compte, et dont elle porte encore le poids. Les sommes à payer par les créoles pourraient bien passer pour une restitution. Quel que soit le sacrifice à faire par les Cubains, il serait faible comparativement à ceux que leur infligerait la continuation de l’état de guerre. Où en viendront-ils d’ailleurs, si une pacification sincère ne leur rend pas leur autonomie ? Ils seront délivrés, mais absorbés par l’Amérique du Nord, et certes ce n’est pas là ce qu’ils ont de mieux à désirer. Leur véritable destinée est de se développer à l’état de république indépendante, de redevenir riches et puissans par le travail libre, et de fonder, conjointement avec le Chili, la confédération des états-unis de l’Amérique du Sud.

Au moment où nous écrivons, les Cubains et les Espagnols semblent plus irréconciliables que jamais. Qui leur fera entendre raison ? Il n’y a que les gouvernemens européens qui puissent l’essayer en agissant de chaque côté par la persuasion, par l’évidence des sages conseils. Assurément l’Europe est intéressée dans une certaine mesure à cette pacification. Cuba, devenue port franc, rapidement enrichie par une production et un commerce sans entraves, ayant des besoins de toute nature à satisfaire, deviendrait un marché de premier ordre pour la France, l’Angleterre, l’Allemagne ; mais les sentimens d’humanité doivent parler plus haut encore que l’intérêt. Une guerre d’extermination dure depuis près d’un an, on doit tout tenter pour y mettre fin. Il n’y a pas de temps à perdre. Le congrès des États-Unis s’assemblera dans les premiers jours de décembre, c’est une échéance impatiemment attendue par les Cubains : un parti bruyant et entreprenant déclare que le général Grant sera mis en demeure de prendre une détermination. Si les diplomaties européennes, par négligence ou par dédain, ne se décident pas à intervenir, elles auront peut-être à se reprocher d’avoir fait cadeau de la perle des Antilles aux États-Unis.


ANDRE COCHUT.