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nant hypothèque sur l’ensemble des biens confisqués par leurs ennemis. Que risquent-ils à cela? S’ils succombent, leur richesse est détruite, et ce n’est pas l’hypothèque donnée aux Américains qui les appauvrira davantage. Si leur cause triomphe, ils paieront avec allégresse la dette contractée. C’est surtout par ce procédé et aussi par les libéralités secrètes des patriotes cubains qu’on achète des armes, qu’on enrôle des combattans, qu’on affrète des expéditions de navires d’autant plus dispendieuses qu’elles aboutissent assez souvent à des sinistres.

C’était donc une rude campagne que le général de Rodas avait en perspective. Possédait-il des moyens suffisans pour triompher des obstacles? Parti précipitamment, il amenait peu de troupes, 900 hommes seulement. Sa grande préoccupation était l’attitude qu’allaient prendre à son égard les volontaires. Ceux-ci, un peu confus de leurs excès, remirent aux autorités maritimes les forteresses dont ils s’étaient emparés, et se répandirent en effusions de confiance et de loyauté. Loin de les blâmer, le gouverneur-général leur répondit par une proclamation où il les remerciait chaleureusement des services qu’ils avaient rendus à la cause de l’ordre; il alla jusqu’à leur dire qu’ils n’avaient rien à désavouer de leur conduire antérieure et qu’ils pouvaient en être fiers. On avait besoin des volontaires, il fallait les flatter. Ils étaient devenus en effet le point d’appui principal de la résistance. Sans l’entraînement de leur sauvage énergie, les troupes régulières, n’étant pas animées des mêmes passions, auraient sans doute hésité plus d’une fois.

Aux atrocités d’une guerre sans pitié ni merci se joignait une complication d’épidémie sans autre exemple connu. Comme on ne faisait pas de prisonniers, un détachement surpris était aussitôt immolé[1]. Çà et là dans les champs gisaient vingt, trente cadavres qui, sous l’action d’un soleil brûlant, emplissaient l’atmosphère de poisons subtils. Les mois de juin et de juillet furent terribles. Les tristes hôtes du pays, la fièvre jaune, le vomissement noir, le choléra bleu, courant à travers les deux camps, y choisissaient tour à tour leurs victimes. Dans l’armée espagnole, qui renfermait 20,000 soldats venus récemment d’Europe, la mortalité durant les six derniers mois prit des proportions horribles et décourageantes. La sinistre impression de ces calamités, jointe aux embarras politiques et financiers de

  1. Pour qu’on se fasse en Europe une idée exacte de cette barbarie, nous copions, comme exemple et à quelques lignes de distance, les deux faits qui suivent dans un journal sud-américain.
    « 29 juin. Une rencontre a eu lieu, près de Las Cinco Villas; les insurgés ont fusillé une compagnie d’Espagnols qui sont tombés entre leurs mains. »
    « 1er juillet, A Ciego Moreno, district de Cinfuegos, 52 patriotes ont été fusillés par ordre du gouverneur. »