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mis en demeure de céder le commandement au général Espinas, qui inspirait plus de confiance à la milice séditieuse. Pour un général renommé comme Dulce, pour un vieux soldat, ce dut être un dur moment que celui où il fut reconduit jusqu’au vaisseau qui allait l’éloigner du lieu où il commandait. Et que penser d’une armée de ligne qui laisse expulser son chef par des miliciens ! La marquise Dulce, femme du général, qui est née à Cuba, n’ayant pas dissimulé quelque sympathie pour ses compatriotes, ne parvint pas à s’embarquer pour rejoindre son mari sans courir quelque danger; il tint à peu de chose que ses biens considérables ne fussent confisqués.

Le coup était à peine frappé que les volontaires se sentirent honteux et embarrassés de leur succès. Ils se réunirent à leur club et rédigèrent un long manifeste, dont la transmission à Madrid par le câble ne leur coûta pas moins de 30,000 fr. Ils s’excusaient de leur conduite à l’égard du général Dulce, insistant sur les motifs d’inquiétude qu’il avait donnés aux fidèles sujets de la mère-patrie, et ils promettaient de veiller au salut public jusqu’à ce que les destinées de la colonie eussent été remises entre les mains d’un chef actif et vigoureux. Le triumvirat de Madrid envoya en effet le général Caballero de Rodas, qui venait d’acquérir une certaine célébrité par les répressions des émeutes de Cadix et de Malaga.

Le général de Rodas débarqua le 28 juin à La Havane, et prit aussitôt le commandement avec le titre de gouverneur politique. Il trouva devant lui, non plus des soulèvemens locaux, mais un peuple à peu près unanime pour conquérir son indépendance. Pendant que l’indiscipline désagrégeait le parti espagnol, les insurgés, unis par l’espérance, arrivaient à une sorte d’organisation. Pour obtenir de la sympathie des pays voisins le titre de belligérans, il fallait présenter l’apparence d’un état constitué. Un embryon de gouvernement s’installa à Guaimaro, petite ville du département du centre dont la population comprend environ 5,000 blancs, 600 noirs affranchis et autant d’esclaves. Le territoire de Guaimaro est entouré de rochers et d’épaisses forêts qui forment un retranchement facile à défendre, facile à approvisionner. Un parlement provisoire, où on ne comptait encore que dix-huit membres, s’assembla. Une constitution y fut ébauchée avec les réminiscences rapportées des États-Unis; elle a pour base la fédération des quatre états qui doivent former la nouvelle division de l’île. Le principe est celui de la démocratie pure. Tout citoyen est libre, sans distinction de race. La république ne reconnaît ni dignités, ni honneurs particuliers, ni aucun privilège. La seule condition pour être électeur et éligible est d’avoir vingt ans accomplis; on exige du président, chef du pouvoir exécutif, qu’il ait au moins trente ans et qu’il soit Cubain de naissance. La chambre des représentans nomme le président de la république et le général en