Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on peut faire des soldats, et on ménage en même temps les intérêts de la propriété en laissant attachés à la culture, jusqu’à la fin de la guerre, les travailleurs qui ne sont point aptes au service. Cette proclamation simple et ferme porte un cachet d’habileté remarquable. Lancée dans une région peu accessible par des gens obscurs et sans mandat, elle n’eut tout d’abord qu’un faible retentissement. Elle fut bientôt d’autant plus efficace qu’elle souleva moins de résistance. Elle opéra sans secousse une sorte de fusion entre les deux races. L’armée libératrice, en ouvrant ses rangs aux plus vigoureux et aux plus intelligens parmi les affranchis, a pu s’affermir sans se surcharger d’auxiliaires peu maniables et dangereux, tels qu’auraient été les noirs de traite nouvellement importés[1].

L’insurrection avait été dirigée pendant les trois premiers mois par l’avocat Cespedès et un propriétaire du nom d’Aguilera. Il avait manqué à ce mouvement le coup d’œil et l’expérience d’un homme du métier; une organisation militaire lui fut donnée par le général Quesada, Cubain d’origine, qui a servi dans les armées républicaines du Mexique. On concentra les forces, on ménagea les ressources; les coups portés furent mieux assurés. Des places importantes, qui ne demandaient d’ailleurs qu’à faire cause commune avec les patriotes, furent arrachées aux garnisons espagnoles. À ces nouvelles, le club des volontaires à La Havane devenait une fournaise; ils auraient voulu une sorte de levée en masse pour courir sus aux rebelles et en finir d’un coup; ils faisaient un crime au gouverneur de sa temporisation. Peut-être que celui-ci, en militaire expérimenté, ne voulait pas s’exposer à un échec; il attendait des renforts promis par la métropole. Il dissimulait peu son chagrin d’avoir pour auxiliaires des exaltés qui ruinaient la cause espagnole par leurs excès. L’idée vint aux volontaires que le général Dulce avait le projet de les désarmer et de dissoudre leur corps à l’arrivée des troupes européennes. La discorde dégénéra en révolte, Dulce fut

  1. Voici le texte, un peu abrégé, de cette proclamation :
    « Considérant que l’institution de l’esclavage, apportée à Cuba par le gouvernement espagnol, doit disparaître en même temps que l’autorité de ce gouvernement;
    « L’assemblée des représentans, voulant faire respecter désormais les principes de la justice éternelle,
    « Au nom de la liberté et du peuple qu’elle représente, décrète :
    « Article Ier. L’esclavage est aboli. — Article 2. Les propriétaires des hommes qui jusqu’à ce jour ont été esclaves seront indemnisés pour la perte de ceux-ci. — Article 3, Tous les individus qui, en vertu de ce décret, obtiendront la liberté contribueront par leurs efforts à obtenir la liberté de Cuba. — Article 4. Pour arriver à ces résultats, tous ceux qui seront considérés comme bons pour le service militaire seront enrôlés dans nos rangs, et ils jouiront de la même solde et des mêmes avantages que les autres soldats de l’armée libérale. — Article 5. Ceux qui ne sont pas bons pour le service continueront, pendant la durée de la guerre, à faire les mêmes travaux qu’à présent.
    « Fait à Camaguey le 20 février 1869. »