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suffrage universel mal défini, livrant les décisions au bon vouloir des autorités espagnoles, et dont on ne pouvait guère attendre les réformes radicales qui étaient de nécessité urgente. On pressentait toutefois à Madrid que Lersundi n’était pas l’homme de la situation. A sa place fut envoyé le général Dulce avec des instructions plus conciliantes. On attribuait à celui-ci une certaine influence en raison des liens de famille qu’il a contractés dans l’île et des souvenirs de modération relative qu’il y avait laissés comme gouverneur-général. Arrivé au commencement de janvier 1869, son premier acte fut en effet de choisir, parmi les hommes connus par leur attachement à la cause libérale, une députation qu’il envoya aux insurgés avec des paroles de paix. Amnistie pleine et entière était promise à ceux qui feraient leur soumission dans le délai de quarante jours. Beaucoup de jeunes patriotes, harassés déjà de cette vie errante et périlleuse, auraient sans doute profité de cette ouverture pour rentrer au sein de leurs familles; mais les volontaires étaient incapables de se plier à une discipline politique : ils ne rêvaient que vengeance et extermination. On apprit que sur plusieurs points des insurgés qui rentraient chez eux munis de sauf-conduits avaient été fusillés en route. On racontait, en amplifiant peut-être, des atrocités commises par les oppresseurs du pays. Les chefs du mouvement s’emparèrent des faits de cette nature pour montrer ce qu’on devait attendre de la clémence espagnole. L’insurrection, au lieu de s’éteindre, prit des forces nouvelles. Le 6 février éclata sur une très vaste échelle un embrasement dont le foyer principal était dans une localité appelée Las Cinco Villas. Il n’y avait plus à hésiter, il fallait conquérir l’indépendance ou mourir.

A La Havane, la cause espagnole courait des dangers d’un autre genre. Le général Dulce, n’ayant aucun subside à attendre de la métropole, était forcé de se créer des ressources sur place. Un décret du 22 février, motivé par « la gravité des circonstances, » surchargea de 5 pour 100 les tarifs d’importation et rétablit les droits de sortie sur les sucres, le tabac et les cigares. Ces droits avaient été abolis sous le régime précédent, c’était provoquer une fâcheuse comparaison. En même temps qu’un impôt de guerre, on infligeait à ce pays ruiné et désolé un emprunt spécial, mesures qui ne pouvaient aboutir qu’à des violences contre les contribuables ou à de nouvelles émissions de papier-monnaie à cours forcé. Et ce n’est pas tout. Les volontaires, devenant plus menaçans à mesure que le péril grandissait, demandaient qu’on battit monnaie avec les confiscations pratiquées impitoyablement aux dépens des suspects. Personne n’aurait osé acheter les immeubles mis en vente ; à peine trouvait-on quelques acquéreurs honteux pour le mobilier, faible ressource assurément.