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paux banquiers de La Havane, mêlé aux plus grandes affaires de son pays, et vivant tout à la fois de la vie intellectuelle de l’Europe. Un groupe de patriotes adhérait aux idées de M. de Embil sans se faire illusion sur la possibilité de les réaliser autrement que par une révolution. L’Espagne tient trop à l’exploitation exclusive de ses colonies pour lâcher bénévolement sa proie. Des événemens imprévus dont on reçut à nouvelle au commencement de l’année dernière ranimèrent quelques lueurs d’espérance. Il faut ici jeter un coup d’œil rétrospectif sur les affaires de la métropole.

Le chef des libéraux modérés de l’Espagne, O’Donnell, dont le crédit et la clientèle étaient incomparables, avait laissé en mourant une sorte de testament politique. Il était persuadé qu’il n’y avait plus rien à espérer de la reine Isabelle : le salut de l’Espagne, à son avis, exigeait impérieusement un changement de règne, sinon de dynastie. Il se prononçait donc dans l’intimité pour un retour efficace à la monarchie parlementaire, avec le prince des Asturies comme souverain nominal et un conseil de régence comprenant les sommités du parlement et de l’armée, sous la présidence de M. le duc de Montpensier. A la mort d’O’Donnell, un incident remarquable se produisit. Les cérémonies funéraires en son honneur se multiplièrent sur tous les points du royaume, et l’affluence autour de son cénotaphe fut telle que ses amis virent là un indice d’adhésion aux idées qu’il professait. Là-dessus un travail d’opinion se fit pendant plusieurs mois ; les membres de l’union libérale et les progressistes, également malmenés par la réaction brutale qui était au pouvoir, se rapprochèrent. On jeta la base d’une action commune ; mais trop de gens étaient dans la confidence du complot pour qu’il arrivât à terme.

Au mois de juillet 1868, le télégraphe apprit à l’Europe stupéfiée que les chefs principaux de l’armée, les plus illustres personnalités du pays : Serrano, Dulce, Zabala, Caballero de Rodas, Echague et vingt autres avaient été soudainement enlevés de leur domicile, emprisonnés, internés ou exilés, sans le moindre répit. On apprenait le lendemain que les plus influens parmi les prévenus étaient déjà expédiés pour les îles de déportation, où ils devaient être gardés à vue. Beaucoup de notables se dérobèrent aux rigueurs par la fuite ; ils étaient presque tous des anciens affidés d’O’Donnell. Quant aux chefs progressistes, s’ils ne furent pas frappés, c’est qu’ils étaient déjà dans l’exil et hors d’atteinte. Après cette exécution, joie et confiance au palais. On se persuade, comme toujours après les coups d’état, qu’on vient d’en finir avec la révolution. On donne quelque attention aux intérêts matériels, et nous rappellerons, pour être juste, qu’une mesure tendant à soulager les colonies est adoptée. On décide que les corps de marine employés dans les Antilles cesseront de recevoir double solde, et que les officiers, au lieu d’a-