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il succombe aux premières séductions du high life. Épris d’une grande dame, il abandonne sa femme, son enfant, et se perd aux yeux de son parti. Ces traits de mœurs abondent dans le récit de M. Spielhagen. Quel est le sujet? La lutte de la noblesse et du tiers-état au sein d’une même famille. Le drame s’ouvre comme une comédie ; un vieux célibataire possède une fortune énorme convoitée par un troupeau de neveux, de nièces, de petits-neveux et petites-nièces, si bien que cette chasse aux millions fait pulluler autour du moribond des vilenies de toute nature. Quel est ce vieillard bourru, fantasque, méchant, avec ses terreurs subites et ses colères sauvages? Le général d’Hohenstein. Tous ses neveux sont plus ou moins des coquins, et lui-même a commis un crime dont le souvenir remplit ses nuits de spectres menaçans. Un de ses neveux, le meilleur peut-être, quoique l’auteur nous le montre volant la caisse de la ville, a aimé dans sa jeunesse une humble fille de la bourgeoisie : il était alors officier à Francfort et ne songeait sans doute qu’à passer gaîment ses années de garnison; mais la jeune fille était pure, la famille était fière, et devant l’attitude aussi digne que résolue de ces braves gens Arthur d’Hohenstein a épousé Marguerite Schmitz. Voilà les Schmitz, une famille plébéienne, un foyer de droiture et de travail, alliée par ce mariage à la race altière et corrompue des seigneurs d’Hohenstein. On voit d’ici quelle mine féconde pour l’imagination démocratique du romancier. Les d’Hohenstein dédaigneront les Schmitz, les Schmitz auront plus d’une occasion de mépriser les d’Hohenstein. Au milieu de ces conflits de la vie privée éclateront les luttes de la vie publique. Tout cela se passe en 1849, à l’heure où le parlement de Francfort termine si tristement ses grands débats. La révolution tente un suprême effort et succombe sous les coups de la réaction. Parmi des scènes violentes et déclamatoires, il y a parfois des paroles vraiment humaines, comme dans cette page où l’auteur proteste contre les vengeances des vainqueurs. « Malheur aux vaincus! parole horrible, infâme, qui déshonores l’humanité, parole qui as retenti dès le commencement du monde, ne perdras-tu jamais ta signification épouvantable? Viendras-tu toujours agiter ta tête de Gorgone et ta chevelure de serpens chaque fois qu’un combattant roule à terre? La douce voix de la pitié qui nous dit de respecter l’infortune sera-t-elle toujours plus faible que le cri de la vengeance? N’est-ce pas un mal assez grand d’être vaincu, de voir foulé aux pieds le drapeau pour lequel on a combattu, de ne vivre que par la grâce du vainqueur, de ne pouvoir se relever de la poussière sanglante qu’avec sa permission? La blessure est brûlante ; faut-il y verser du poison? Faut-il que les femmes éperdues, les enfans tout en larmes, sentent encore la