Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Enfin, si nous cherchons comment M. Spielhagen juge au nom de la morale ces natures problématiques dont il a entrepris l’étude, que trouvons-nous? L’auteur finit par reconnaître qu’il y a chez Oswald et Oldenbourg, comme chez le pauvre philosophe, un principe mauvais, principe de mollesse, d’inertie, d’impuissance; quels remèdes propose-t-il pour les guérir? La vie active, de grands intérêts à défendre, de grandes luttes à soutenir. Fort bien, mais qui nous fournira ces intérêts et ces luttes? M. Spielhagen répond sans hésiter : la révolution démocratique. Ce sont les révolutions de 1848 qui ont guéri ses malades, c’est par ce chemin sanglant qu’ils sont allés de la nuit à la lumière. Le baron d’Oldenbourg était intimement lié avec les tribuns qui ont conduit à Paris la révolution du 24 février; il s’est battu à Paris sur les barricades; il a vu de près comment ou renverse un trône, et il est allé tout aussitôt organiser la révolution de Berlin. Oswald, Berger, le saltimbanque, aux premiers rangs de l’émeute, ont rivalisé d’héroïsme. Berger est tombé dans la bataille; Oswald, blessé à mort, a expiré le lendemain. La révolution à demi victorieuse est occupée à enterrer ses victimes. Voyez ce long cortège, toute une cité en deuil, tout un peuple qui prie au bord des tombes. Dans ce tableau, le dernier où se déploie sa verve, M. Spielhagen aura peut-être exprimé enfin sa pensée morale sur les natures problématiques :


« La cérémonie religieuse est terminée, le cortège se met en marche, un cortège comme la ville n’en a jamais vu, un cortège unique peut-être dans les annales du monde. Dans l’atmosphère bleue d’un ciel printanier apparaissent, portés sur les épaules des citoyens, de jaunes cercueils chargés de riches couronnes, une longue, longue file dont on ne voit pas la fin, et vingt mille hommes de tout âge et de tout rang les accompagnent. Sur chaque cercueil est une étiquette qui porte le nom du mort. Hélas! ces noms ne parlent pas... Qu’était-ce que Oswald Stein? qu’était-ce que Eberhard Wolfgang Berger?... Et qu’importent les noms? Qu’importe ce qu’ils furent dans la vie? Que font ici leurs actes et leurs souffrances, leurs faiblesses et leurs fautes, leurs efforts et leurs chutes? La mort pour la liberté couronne tous les efforts et rachète tous les méfaits. C’est là ce que sentent ces milliers d’hommes qui, pressés en masses profondes à droite et à gauche de la route, laissent passer le cortège, se découvrant avec respect devant chaque cercueil.

« Et longuement, lentement, dans un silence solennel, le long cortège franchit les portes de la ville, se dirige vers les hauteurs prochaines et arrive au cimetière, à l’endroit même où quelques jours auparavant les combattans des barricades avaient dressé un énorme bastion. Le cortège s’approche de la vaste fosse; chaque groupe de porteurs dépose