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comprendront de nouveau comme ils se comprenaient avant la division des langues; tous alors seront frères. Ce que le sage contemple dans le secret de son cœur et qu’il ne peut exprimer sans scandale sera un jour une propriété commune qui réjouira le genre humain. Pour cette doctrine, le vieux monde est un sol dur et ingrat; les antiques préjugés, les erreurs séculaires, y ont jeté de trop profondes racines; cela repousse toujours, cela foisonne, et la semence nouvelle est étouffée. L’Amérique est notre espérance... Le croyant orthodoxe, dans sa foi à une existence personnelle au-delà du tombeau, à une vie éternelle et bienheureuse où il contemplera Dieu face à face, s’écrie, les yeux au ciel : mort! où est ton aiguillon? ô enfer! où est ta victoire? Mais celui qui a fait de la raison l’étoile radieuse de sa vie, celui pour lequel n’existe pas ce qui est inintelligible à sa pensée, celui qui voit dans la mort un problème insoluble, une éternelle énigme, celui-là n’est-il pas soutenu par sa foi dans l’intime et indestructible union de son être avec la nature? C’est la sainte, la grande nature qui l’a enfanté, qui l’a élevé; il a joui naïvement de cette union, il a été, il est, il sera toujours un avec elle. Il ne connaît pas d’intérêts particuliers en face du grand tout. Lui, il n’est pas; c’est au grand tout que l’être appartient. Pénétré de cette foi plus que nulle parole ne saurait l’exprimer, moi aussi je puis dire : O enfer! où est ta victoire? ô mort! où est ton aiguillon?


Si ces déclamations un peu vieilles n’étaient rajeunies par la passion de l’auteur, il n’y aurait pas lieu de les citer. Uni à cette vive haine pour l’aristocratie, le panthéisme mystique de M. Spielhagen nous donne immédiatement sa physionomie tout entière. Remarquez en effet que son démocrate panthéiste est un grand seigneur; nous retrouverons ce personnage dans presque tous ses romans. On dirait qu’en attaquant sans cesse la noblesse, il regrette de ne pas en faire partie, afin de la rejeter avec éclat comme lord Vere et George Allen.

Clara Vere avait paru en 1858; l’année d’après, M. Spielhagen pubIia une œuvre toute différente, une œuvre à part dans la série de ses romans démocratiques. Sur la dune est une idylle bourgeoise animée des pensées morales les plus pures et où brille la poésie la plus fraîche. Les critiques allemands y signalent un style merveilleusement souple, un sentiment exquis de la nature du nord, des tableaux de la mer Baltique à rendre jaloux les meilleurs peintres de marine; tous les lecteurs y apprécieront le charme des affections ingénues dans une fable originale et dramatique. M. Spielhagen a traduit quelques-unes des poétiques études de M. Michelet, la Mer, la Femme, avec la sympathie ardente d’un disciple; ici l’inspiration qu’il a pu emprunter à l’illustre historien français n’offre rien