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la jeune femme elle-même, une noble et vaillante créature, qui va plaider la cause de son ami auprès du souverain pontife. La scène est charmante ; l’exaltation passionnée de Constance Stratelli, la douceur, la pénétration, la générosité de Pie IX, tout cela est décrit avec finesse et sobriété, avec sympathie et respect, sans déclamation d’aucune sorte. Pour démontrer l’innocence d’Hugo. Constance a été obligée de montrer au pape certains papiers qui révèlent toute une conspiration contre le pouvoir temporel. « Ces feuilles, dit-il, pourraient nuire à quelqu’un ; détruisez-les vous-même, mon enfant, jetez-les dans le feu de cette cheminée. » Puis il écoute la jeune femme, il l’interroge, l’erreur se dissipe, il n’y a plus de doute ; il juge donc, il juge comme lui seul pouvait le faire, car la justice régulière, pour absoudre l’accusé, aurait eu besoin de ces papiers qui dénonçaient d’autres coupables et qui ne perdront plus personne. L’audience finie, quand la jeune femme traverse le vestibule, le monsignor allemand qui l’a introduite, apprenant ce succès inespéré, lui dit de sa voix béate : C’est un ange de bonté… — C’est mieux qu’un ange, s’écrie-t-elle, c’est un homme vraiment noble, vraiment fort malgré le poids des ans et des souffrances, c’est un homme dans la plénitude de ce mot ; l’humanité complète rayonne sur son front avec sa lumière divine et sa consécration sainte. » Ainsi parle le conteur allemand, s’honorant lui-même par l’impartialité de ses tableaux. Croyez-vous pourtant que cette sympathie respectueuse pour tout ce qui relève l’humanité fera tort à la liberté de son esprit ? Écoutez la fin du chapitre. Constance est revenue triomphante, elle raconte tout à son père, qui fut jadis un des chefs de la révolution italienne : « Ah ! s’écrie l’ancien carbonaro, ce Pie IX, malgré tout, a bien toujours quelque chose du vieil homme de 1847, si bon, si divinement bon et si sage ! O temps du bon Dieu ! avec quel enthousiasme nous chantions alors l’hymne de Pie IX ! Seuls, les philistins infâmes, les hiboux de la nuit, l’appelaient le don Quichotte de la bonté, et disaient que Cicerovacchio était son Sancho Pança. Les misérables ! ce sont eux qui l’ont retourné complètement et ramené dans la vieille ornière. Nous verrons combien de temps cela durera ! Pie IX seul aurait pu sauver la royauté temporelle du saint-siège, le Pie X qu’ils ont mis à sa place n’y pourra plus jamais rien. » L’écrivain qui parle ainsi n’est certes pas hostile à l’église romaine ; il appartient à une vieille famille patricienne de Westphalie, il dirigeait, il y a vingt-cinq ans, l’éducation de deux jeunes princes bavarois. Je ne sais s’il est né catholique ou protestant ; mais, à ne juger que ses écrits, il fait partie de la grande communion chrétienne qui aime et honore tout ce qui honore l’humanité.