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ptôme à noter. Il est évident que des hommes très hostiles aux royautés d’autrefois ont désarmé peu à peu. Ce n’est pas la victoire de la Prusse sur l’Autriche absolutiste qui inspire ici M. Auerbach, puisqu’il écrivait ces pages une année avant Sadowa. Est-ce simplement la réflexion, l’expérience, l’apaisement des passions ? N’est-ce point plutôt parce que les souverainetés se transforment nécessairement sous l’action incessante de l’esprit de 89, parce qu’elles nous apparaissent de plus en plus comme des magistratures, comme des présidences de république, présidences doublement tutélaires dans notre vieux monde, si l’hérédité les soustrait aux compétitions brutales ? Sans entrer dans cette discussion, qui nous mènerait trop loin, je me borne à noter que la démocratie de M. Berthold Auerbach, tout en maintenant ses principes essentiels, s’entendrait sans peine avec la majesté royale. Ainsi, au point de vue politique comme au point de vue religieux, ce livre, dont l’intérêt dramatique ne languit pas un instant, obéit à une inspiration élevée, sereine, conciliante. Si de graves erreurs s’y mêlent, ce sont des erreurs qui attestent encore la noble inquiétude d’une âme en quête du bien et du mieux. Cherchez dans toutes les littératures contemporaines ; parmi les romans que la foule dévore, qui ont eu six éditions en trois ans, dont on a vendu rapidement douze mille exemplaires, en est-il beaucoup qui transportent ainsi l’imagination sur les hauteurs ?

Ce n’est pas à des méditations si graves que nous convie M. Levin Schucking dans ses agréables récits ; on y trouve pourtant le reflet des controverses de nos jours. M. Levin Schucking n’est pas un artiste original, un maître d’invention et de langage, comme l’écrivain dont nous venons de parler ; je vois en lui un de ces hommes dévoués à leur tâche qui, sans forcer brusquement l’attention, maintiennent constamment leur place et finissent par honorer une littérature. Conteur aimable, imagination souple, il charme, il intéresse, et, s’il n’a pas de hautes prétentions philosophiques, il a toujours le goût des idées saines. Ce qui lui manque, c’est l’art de composer, l’art de concevoir un plan et de marcher droit au but. Il va, il vient, il s’égare ; je sais bien qu’il se retrouve, mais où est l’harmonie de son œuvre ? comme il amuse le lecteur et s’amuse lui-même en écrivant, il ne s’aperçoit pas de ses déviations ; sa facilité lui est un piège. Souvent une idée originale apparaît au début, l’entrée en matière est pleine de promesses ; le récit continue toujours vif, gracieux, attachant ; qu’est devenue l’idée ? On ne sait trop, et quand elle revient, on n’y pensait plus.

Nous avons remarqué ces qualités et ces défauts dans un roman en trois volumes intitulé les Chemins qui se croisent. Écoutez cette