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génieur non plus que la possibilité de réunir tous les capitaux nécessaires pour mettre leur projet à exécution.

A partir de ce moment, on ne perdit plus de temps; on était bien résolu d’aller en avant. La froideur des San-Franciscains, qui ne se rallièrent que plus tard à l’entreprise, ne découragea point les capitalistes ce Sacramento. C’était le 1er octobre 1861 que Judah avait lu son rapport au comité. Le 11 du même mois, il se rendit à Washington en qualité d’agent de la compagnie et chargé de pouvoirs et d’instructions pour solliciter le concours du gouvernement central.

Le moment ne paraissait guère bien choisi pour remplir une semblable mission. L’Amérique venait de se partager en deux camps, le nord et le sud. Il n’y avait plus d’intérêt et de passion que pour les questions politiques. Toutefois le chemin de fer du Pacifique eut la bonne fortune de fixer à ce dernier point de vue l’attention publique. Les mines en quelque sorte inépuisables de l’ouest étaient seules en état de pourvoir aux exigences de la guerre civile. La Californie était, à proprement parler, le coffre-fort de la république. Il importait de mettre ses trésors en sûreté, et le seul moyen d’arriver à ce but était d’ouvrir au plus vite des communications directes, rapides, sûres et faciles entre les états du nord et ceux du Pacifique. Il faut ajouter aussi que l’on s’était à cette époque accoutumé en Amérique à ne compter que par millions et milliards. Jamais, depuis que le monde existe, on n’avait dépensé autant d’argent pour les entreprises les plus gigantesques que les Américains n’en dépensèrent en peu d’années pour s’entretuer. Des sommes énormes dont l’énoncé en temps de paix aurait fait hésiter les financiers les moins timides, et qui dans le congrès aurait certainement soulevé des discussions interminables, passaient pour ainsi dire inaperçues. Le chemin de fer du Pacifique fut regardé comme une nécessité militaire. C’en fut assez pour justifier tout ce qu’on pouvait tenter ou dépenser en sa faveur. Le bill relatif à la construction de la ligne et à la subvention de l’état fut soumis au congrès par l’intermédiaire d’Aaron Sergent, représentant de la Californie; il passa sans trop de difficulté, et fut, le 1er juillet 1862, approuvé par le président Abraham Lincoln. Divers amendemens, votés successivement le 3 mars 1863, le 2 juillet 1864, le 3 mars 1865 et le 3 juillet 1866, complétèrent l’acte du congrès. La libéralité des subventions qu’il accordait dut satisfaire les plus exigeans directeurs de la compagnie.

L’acte du congrès autorisait l’établissement d’une ligne principale allant de San-Francisco à Omaha (Nebraska), et de trois sections. La grande ligne prenait le nom de chemin de fer national du Pacifique; elle se subdivisait en deux parties, le chemin de fer Central et