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qu’il rend plus exactement que tout autre la physionomie générale de Charles XII, c’est parce que, si l’on peut y signaler des lacunes et des erreurs, elles portent d’ordinaire sur des points encore aujourd’hui mal connus et discutés, et c’est encore parce qu’il est ce qu’on appelle un livre de première main, où les autres n’ont cessé d’y puiser sans se faire faute d’en médire.

Nous ne prétendons pas refaire en détail l’histoire de la publication du Charles XII de Voltaire. Cette histoire est faite soit dans les intéressantes études biographiques de M. Desnoiresterres, soit en tête de toutes les bonnes éditions d’un livre si souvent réimprimé. En 1727, Voltaire, déjà fort connu par son Œdipe et ses deux emprisonnemens, avide encore d’une plus grande réputation, que la Henriade et les Lettres philosophiques vont du reste lui conquérir, se rappelle ce qu’il a entendu de curieux récits, une dizaine d’années auparavant, chez le banquier Hogguers qui lui a fait connaître Görtz, ministre de Charles XII. Il a des souvenirs et peut-être des notes ; il pourra interroger un bon nombre des témoins de cette époque ; ce travail sera de nature à plaire à la jeune reine de France, à son père le roi de Pologne ; c’est de plus une tâche intéressante d’écrire l’histoire contemporaine et étrangère. Le sujet séduit Voltaire à la fois par un certain aspect romanesque et par ce qu’il entrevoit de graves conséquences politiques, bien qu’il ne les distingue pas toutes, à une lutte comme celle de Charles XII et de Pierre le Grand. Aussitôt il se met à l’œuvre ; son premier volume s’imprime à Paris à la fin de 1730 ; mais l’édition est saisie, parce que M. de Chauvelin, le garde des sceaux, ne croit pas convenable à sa charge d’autoriser par son privilège des vérités, bien connues d’ailleurs, sur Auguste II, le roi régnant de Pologne. Vite Voltaire réimprime à Rouen, chez Jore, fort en secret et avec la tolérance de M. le premier du parlement de Normandie. À peine ce danger passé viennent les attaques des rivaux et des critiques ; mais Voltaire leur tient tête hardiment, tout en promettant les corrections nécessaires et en corrigeant en effet beaucoup d’éditions successives ; ces remaniemens ne nous intéressent pas ici, et nous n’avons affaire qu’au texte définitif que donne l’édition de 1751.

Si Voltaire accueille certaines remarques, il en renvoie un bon nombre, chemin faisant, à ses critiques. Ceux qui ont eu le malheur de prendre avec lui de grands airs, il les drape à sa façon, et en vérité l’on applaudit à ces châtimens durables quand on voit de près leurs allures de pédans. Nordberg, par exemple, pouvait se contenter d’être diffus et ennuyeux ; mais il devient agaçant à contredire Voltaire presque à chaque page. « Tout cela est faux ; M. de Voltaire raisonne à sa manière ; M. de Voltaire mérite ici