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d’un million de balles de coton. C’est environ le cinquième de ce qu’ont travaillé toutes celles de la Grande-Bretagne dans le même intervalle, et, à quelques milliers de balles près, cette quantité de coton représente précisément celle qu’ils ont fournie à l’Angleterre. Après de pareils débuts, on peut compter que les États-Unis ne s’arrêteront pas en route. Voilà une grande contrée où, d’ici à peu de temps, il est à craindre que l’Europe ne puisse plus exporter un seul ballot de cotonnade. Qu’on ne nous dise pas que les manufactures américaines ne vivent qu’à la faveur des taxes qui interdisent aux marchandises étrangères l’entrée de l’Union, que c’est là une industrie factice, et que l’abaissement des tarifs la ferait disparaître comme par enchantement. Ces usines, placées à proximité de la matière première, dans un pays où le combustible et les ateliers de machines ne manquent point, où les capitalistes sont pleins d’audace et les industriels d’initiative, n’ont à redouter vis-à-vis des usines anglaises aucune raison d’infériorité. Les ouvriers habiles leur manquaient; voilà qu’ils affluent sur ces rivages hospitaliers. Si une modification brusque des tarifs peut arrêter les développemens d’une industrie encore à l’état embryonnaire, elle ne saurait compromettre sérieusement une industrie vivace éclose dans un aussi favorable milieu; qu’on s’en rapporte au congrès américain d’ailleurs pour accomplir avec mesure et à bon escient cette réforme souhaitable, que le progrès naturel des temps rendra nécessaire. Il faut voir les choses comme elles sont, se résigner à des phénomènes dirigés par des lois immuables. Au lieu de poursuivre le chimérique espoir de reconquérir des marchés à peu près imprenables aujourd’hui, l’Angleterre doit chercher par d’énergiques efforts à étendre dans d’autres directions le domaine de son activité commerciale, et diriger vers des entreprises pratiques et soigneusement étudiées les forces dont elle dispose; il est indispensable qu’elle les emploie avec discernement, et qu’elle en tire tout le parti possible, car elle n’est plus aujourd’hui seule à les posséder.

Comme le remarque le Times, qui s’est enfin décidé à accepter la logique des faits, cette transformation industrielle dont les États-Unis sont le théâtre n’est point particulière à la république américaine. Les circonstances lui ont seulement donné de l’autre côté de l’Atlantique un caractère plus saisissant. En Europe, les centres manufacturiers prennent sans cesse de l’extension. La filature et les autres arts mécaniques ne sont plus spécialement anglais. La France, l’Allemagne, la Suisse, profitent des facilités que leur fournissent la rapidité des communications, la perfection de l’outillage moderne, pour prendre une bonne assiette sur le terrain industriel.

Quand on examine avec soin les tableaux où se trouvent résumés