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du nord justifiaient cette espérance. Les faits postérieurs lui ont donné un démenti. On exagère parfois quelque peu de l’autre côté de l’Atlantique; et, pour le triomphe de certaines opinions les hommes les plus influens du pays ne craignent pas toujours assez de faire des emprunts à leur imagination. Les premiers essais de travail libre avaient donné de bons résultats et bien fait augurer du sérieux et de la régularité des noirs. Cela ne dura guère. L’indolence de la race nègre, à qui manquent beaucoup trop le self-criterium et l’esprit de prévoyance, ne tarda point à reprendre ses droits. Pour achever de tourner la tête aux nouveaux affranchis survinrent les déclamations des ultra-radicaux, qui leur promettaient une forte part dans les dépouilles des vaincus, décrétés par la même occasion d’incapacité civique. Les noirs ne voulurent plus travailler pour le compte d’autrui. Ils prétendirent s’installer en maîtres dans les plantations ravagées par la guerre. Une vaste grève, des conflits sanglans, furent le prompt résultat de ces belles théories. Décidément les libérateurs de la race opprimée avaient été trop loin. Ils le comprirent d’autant mieux que désormais de nombreux capitaux du nord se trouvaient engagés dans les anciens états confédérés. Beaucoup de Yankees s’étaient rendus adjudicataires à vil prix des plantations mises aux enchères par les sudistes ruinés. D’autres arrivaient incessamment avec l’argent nécessaire pour exploiter les terres en friche, soit en les achetant, soit en s’associant avec les propriétaires et en cultivant avec eux de compte à demi. Pour mener à bonne fin de semblables projets, il fallait tout d’abord s’assurer le concours des nègres, qui se montrèrent rognes et récalcitrans, comme on pouvait s’y attendre, et finirent toutefois par transiger en imposant de très dures conditions.

Le minimum du prix de la journée fut fixé à un demi-dollar, plus le logement, la nourriture, un lopin de terre. De pareils prix grevaient l’exploitation de lourdes charges, car les terrains présentaient des inégalités très grandes sous le rapport de la fécondité. On pouvait encore réaliser de beaux bénéfices dans les terres riches, où l’acre rend de 6 à 7 quintaux de coton; mais il arrivait souvent que la récolte n’atteignait que la moitié de ce chiffre, et alors l’opération devenait désastreuse. C’est pourtant avec ces élémens que les planteurs entreprirent une nouvelle campagne, et ils la menèrent avec ce mélange d’audace et d’opiniâtreté qui a valu tant de beaux succès à la race anglo-saxonne. Quand vint le moment de la cueillette, les capitalistes du nord, qui s’étaient résolument lancés dans cette culture et l’avaient ranimée, se trouvèrent récompensés au-delà même de leurs espérances. La quantité de coton s’éleva au-dessus de 2,300,000 balles. Elle s’est maintenue depuis 1866 entre