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instruit et d’un esprit pénétrant. « une colonie fondée sur les rivages du Grand-Océan, écrit-il, assurerait non-seulement de nouvelles ressources au commerce et conduirait à d’importantes et utiles découvertes, mais elle ouvrirait aussi avec la Chine et les établissemens britanniques de l’Inde des communications qui abrégeraient considérablement celles qui existent maintenant par le cap de Bonne-Espérance et le détroit de Magellan. Je ne doute pas que l’on ne traite à présent mes projets de chimères, mais je ne doute pas non plus que dans un temps prochain ils ne deviennent des réalités. Que ceux qui recueilleront les fruits de l’idée que j’ai semée se souviennent, je les en prie, de celui qui le premier leur a montré la route de la fortune! » Si ce n’était ce touchant appel à la reconnaissance de la postérité, l’on croirait ces lignes écrites, non pas il y a près d’un siècle, mais de nos jours, après la constitution de l’état californien et la formation des compagnies du Pacific-Railroad.

A la suite de l’expédition si malheureusement échouée de Jonathan Carver, il faut placer celles de Pike et Long, de Lewis et Clark, de Bonneville, et en dernier lieu celle de l’infatigable Fremont, dont l’autorité fit plus pour attirer l’attention des Américains vers l’intérieur du continent que les relations et rapports de ses prédécesseurs. En 1836, un habile ingénieur, John Plumbe, né dans le pays de Galles, mais élevé aux États-Unis et imbu d’idées américaines, demeurant à Dubuque (Iowa), conçut et répandit le projet d’un chemin de fer qui, partant des grands lacs, devait aboutir au Pacifique en coupant les territoires de l’Orégon. Jusqu’à sa mort, qui eut lieu en Californie plusieurs années après la découverte des mines d’or, Plumbe ne cessa d’être le chaleureux avocat de son hardi projet; il réussit même à lui assurer un commencement d’exécution en provoquant l’établissement des voies ferrées unissant les états du Mississipi avec le réseau des états de l’est.

L’idée d’une union plus intime entre les populations de l’Atlantique et celles du Pacifique commença enfin à se faire jour parmi les classes éclairées de la société américaine. Les hommes politiques comprirent qu’une colonie étrangère sur les bords du Pacifique pouvait, le temps aidant, devenir une sérieuse rivale de la grande république, et qu’il était urgent de s’assurer, au moyen de voies rapides de communication entre l’est et l’ouest, de la possession de ces territoires à moitié déserts, au risque même de faire une acquisition stérile. Lewis Clarke, Wilkes, Asa Whitney et d’autres personnages influens n’hésitèrent plus à exprimer hautement cette opinion. Whitney surtout ne cessa, pendant plusieurs années, de plaider avec une louable obstination dans le sein des assemblées législatives et dans les réunions populaires la cause dont il s’était