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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

main de Sadowa, le Mein n’était qu’un mince filet d’eau. Les battus du midi étaient disposés à prendre leur parti de leur défaite, qu’ils attribuaient à la faiblesse de leurs gouvernemens, à l’impéritie de leurs généraux ; ils se disaient qu’après tout les Prussiens étaient des Allemands, qu’ils venaient de prouver à l’Europe que les Allemands savent vouloir et agir. Aujourd’hui le Mein est un fleuve, et le particularisme a repris toute sa puissance à Munich et à Stuttgart. Bavarois et Souabes s’en tiennent au statu quo. Cette confédération du nord, où on les presse d’entrer, leur fait l’effet d’une ratière qu’on n’a pas même pris la peine d’amorcer. Les vents qui soufflent de Berlin n’apportent à leurs oreilles qu’un bruit de tambours et des airs de trompettes, les murmures de contribuables qu’on surcharge, le râle obstiné du Hanovre, qui ne peut se décider à mourir, par intervalles le sourd gémissement de la Saxe, qui, le cou pris dans un nœud coulant, cherche à se dégager et se plaint qu’on l’étrangle. Ces concerts n’ont rien qui les puisse ravir. Ils secouent la tête et se disent : On pourra nous prendre, nous ne nous donnerons pas.

Les libéraux prussiens, qui considèrent les annexions comme une faute, ont une autre raison encore de souhaiter que la Prusse pût rendre gorge. Depuis que la guerre de Crimée a brisé le faisceau des trois puissances du nord, il n’y avait plus en Europe d’alliance naturelle, nécessaire, permanente. Les atomes politiques flottaient en liberté, ils se rencontraient, s’accrochaient au passage, contractaient des unions éphémères, et bientôt se séparaient pour en former d’autres au gré du vent qui soufflait. La paix de Prague a mis fin à cet état de choses. Il y a désormais en Europe une alliance nécessaire et permanente, et cette alliance est dirigée contre les ambitions prussiennes. La France et l’Autriche interprètent de la même manière et au pied de la lettre l’article IV du traité de Prague, qui assure au midi de l’Allemagne une existence indépendante et internationale. Cet article les console en quelque mesure, l’une de sa déception, l’autre de sa défaite ; elles ont d’égales raisons de ne pas se le laisser escamoter. Pour la France, c’est une question de sûreté, et si elle doit à ses principes tant de fois proclamés de ménager beaucoup les sentimens nationaux de l’Allemagne, on ne peut lui demander de respecter les convoitises de la Prusse. Pour l’empire des Habsbourg, c’est une question d’existence. Que la Bavière devienne une province prussienne, et la Prusse, maîtresse du Danube, des routes et des portes de Vienne, revendiquera dès demain pour l’Allemagne les provinces allemandes de l’Autriche, désormais menacée d’une expropriation et de se voir réduite à je ne sais quel empire hongro-slave qui ne serait plus l’Autriche. Les cabinets de Vienne et de Paris sont aujourd’hui liés par de communs intérêts ; il n’est pas