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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

se dédommager de n’avoir pu prendre davantage encore, elle se rappela qu’elle faisait de la politique allemande, il lui ressouvint de ses principes, et elle s’empressa d’ajouter à ses annexions des conquêtes morales. Et d’abord elle conquit plus que moralement et le royaume de Saxe et les petits états situés au nord du Mein en les englobant dans une confédération où 24 millions de Prussiens se trouvent en présence de 6 millions d’Allemands non prussiens. Puis elle se hâta de prouver que le Mein était guéable : pour bien spécifier le sens qu’elle attachait à cet article IV du traité de Prague qui garantit aux états du sud « une existence internationale indépendante, » elle conclut avec Baden, avec le Wurtemberg, avec la Bavière, des traités secrets d’alliance offensive et défensive, et plus tard elle fit régler officiellement par le Reichstag la manière dont s’opérerait l’accession de ces états à la confédération du nord. En pareil cas, ce qu’on fait dire est encore plus important que ce qu’on dit. À tous les mécontens qui se plaignaient que la Prusse avait trahi la cause et les intérêts allemands, qu’elle n’avait pensé qu’à s’agrandir, que le résultat le plus net de la paix de Prague avait été d’admettre l’intervention de la France dans le règlement de la grande question nationale, de déchirer l’Allemagne en trois tronçons, de livrer les états du sud à eux-mêmes et aux influences étrangères, de détruire la confédération germanique sans la remplacer et de rétrograder de 1815 jusqu’en 1648, des traités de Vienne jusqu’à la paix de Westphalie, les journaux officieux de M. de Bismarck répondaient que ces mécontens se méprenaient, qu’il y paraîtrait bientôt, que la situation n’était que provisoire, que la Prusse n’avait renoncé à rien, qu’elle était plus allemande de cœur que jamais, qu’elle ne se résignerait jamais à n’avoir pris que la moitié de l’Allemagne, et que la confédération du nord ne tarderait pas à abriter dans son sein toutes les tribus dispersées et gémissantes d’Israël et de Juda. On avait beaucoup pris, on donnait à entendre qu’on escamoterait le reste. Depuis 1866, l’Europe vit dans l’attente de ce grand tour de gobelets : si habile que soit le prestidigitateur, la muscade n’a pas encore passé.


III.

Le bon sens européen a jugé dès la première heure que la paix de Prague était une paix fourrée et bâtarde, une solution ambiguë, grosse d’embarras, et qui ne résolvait rien. Ce qu’il faut reprocher à la Prusse, ce n’est pas Sadowa, c’est Nikolsbourg. Le roi Guillaume n’avait pas absolument tort quand il déclarait aux Hanovriens, dans un style emprunté à Darwin, que la guerre de 1866 avait été « un combat pour l’existence. » Le malheur est qu’après avoir vaincu