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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

proverbe allemand que le chasseur ne peut fonder sa cuisine que sur le lièvre qu’il rapporte sur son dos ; mais au XIXe siècle le gouvernement d’influence tend de plus en plus à se substituer au gouvernement d’autorité : c’est le fond de ce qu’on appelle la politique constitutionnelle et parlementaire, qui finira par renouveler la politique internationale. Il était plus aisé du temps de Pascal de trouver des moines que des raisons ; aujourd’hui, dans certains pays, la raison la plus facile à trouver, c’est un caporal et quatre hommes. Toutefois le caporalisme a peu d’avenir ; commander ne suffit plus, il faut persuader. Sans doute persuader est une fatigue, et la Prusse aurait eu besoin, pour gouverner une Allemagne fédérative et libre, de beaucoup de talent et d’habileté. Serait-ce donc un si grand malheur ? Un prince qui a prouvé qu’il savait son métier de soldat, et qui prouvera peut-être un jour qu’il sait son métier de roi, disait : « Je ne crois en politique qu’aux choses difficiles. » Ajoutons qu’il n’y a de durable que ce qui est modéré. Dans l’état actuel de l’Europe, toute domination avide et intempérante est sûre de rencontrer à son troisième pas une ligue d’intérêts coalisés contre elle. Il n’est pas moins vrai qu’on ne refait pas son tempérament, que les hommes qui ont voulu la guerre de 1866 et qui l’ont conduite avec tant de succès auraient dû faire violence à leur nature, s’ils avaient employé à la reconstruction d’une Allemagne libre l’épée qui avait vaincu à Sadowa. C’eût été vraiment un miracle de la grâce.

Puisque la Prusse était résolue à prendre, elle avait un autre système à suivre, et il est regrettable pour la paix et la tranquillité de l’Europe qu’elle ne l’ait pas pratiqué jusqu’au bout avec cet esprit de conséquence où les intérêts comme la logique trouvent leur compte. Quand on ne suit pas une politique généreuse, c’est quelque chose du moins d’adopter une politique franche. « Nous avons fait la guerre, aurait pu dire la Prusse aux Allemands, parce que nous n’étions pas contens du lot qui nous a été attribué par les traités de Vienne. Nous avons été sacrifiés en 1815. D’abord nous sommes trop petits pour le personnage que nous sommes appelés à jouer dans ce monde. L’étendue de notre territoire ne répond pas à notre importance politique, à ce rôle de grande puissance dont nous ne saurions décliner les charges et les devoirs sans que l’équilibre européen en souffrît. De là une tension de forces qui nous fatigue. D’autre part, les traités nous ont fait une configuration malheureuse ; nous avons des enclaves, des étranglemens de territoire très gênans. Nous userons du droit de la guerre pour nous arrondir, nous refaire et nous compléter. Outre le Slesvig-Holstein, nous garderons le Hanovre, la Hesse électorale, Nassau, Francfort. Ce résultat nous suffit ; nous nous garderons de former avec vous une