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hurrahs formidables, s’élèvent du front de la ligne. C’est fini. Les derniers rails ont été posés, et l’œuvre que l’on s’était proposée le matin a été accomplis avant la tombée de la nuit. Peu s’en faut que Caucasiens et Chinois ne s’embrassent.

Pour se faire une idée des difficultés vaincues en cette mémorable journée, il ne faut pas oublier que l’on se trouvait au milieu d’un désert, loin de toute ville et même de toute habitation. Lorsque les ouvriers, réunis ce jour-là au nombre de quinze cents sur un seul point, abandonnèrent le travail pour prendre le repas de midi, ils étaient arrivés à 10 kilomètres de l’endroit où ils avaient déjeuné le matin et laissé leur attirail de campement. Les provisions, tentes, ustensiles, instrumens, effets, le feu et l’eau, tout avait été porté en avant, sans confusion, à mesure que les travaux du chemin de fer avançaient. Cette armée d’ouvriers fut donc pourvue régulièrement de tout ce qui lui était nécessaire pour la nourrir et l’abriter, et cela dans des endroits où le matin il n’y avait pas vestige de route ou de provisions.

Le lieu où s’arrêta le travail le 28 avril fut nommé Victory-Point, ce qui voulait dire qu’en fin de compte les Californiens avaient battu les unionistes, sans leur laisser même l’espoir d’une revanche[1]. Ces derniers ne se découragèrent cependant pas, et continuèrent à travailler avec une telle diligence que le 10 mai, quarante-huit heures plus tard seulement que les Californiens, ils eurent atteint l’extrême limite de leur embranchement et touchèrent à Promotory-Point aux ouvrages les plus avancés du chemin Central. Le dernier rail, unissant les deux sections de la grande ligne, allait donc être posé.

Promotory-Point, territoire de l’Utah, cité déjà plusieurs fois dans cette étude, est situé à 4,943 pieds au-dessus du niveau de la mer, entre 41 et 42 degrés de latitude nord et 112 et 113 degrés de longitude ouest. C’est un groupe de buttes provisoires élevées sur la pointe nord-est du grand Lac-Salé, à une cinquantaine de kilomètres des villes de Corinne de Brigham, à environ 800 milles de San-Francisco et 2,500 milles de New-York. C’est en cet endroit

  1. Je relève dans le Journal de Chicago les détails suivans relatifs au fait que je viens de raconter. «Pour poser ces 10 milles de rails dans un jour, 8,500 hommes furent employés. Ils avaient à leur disposition 800 chevaux, 8 locomotives et un grand nombre de charrettes. Cette armée et tout son attirail obligé marchaient à la rencontre d’une armée de force égale. Pour poser, ajuster et fixer les 10 milles de rails, on avait eu besoin de 31,500 traverses, de 4,037 rails, de 8,140 coussinets, de 16,180 rivets et de 120,000 boulons Tout cela arrivait ce jour-là de divers endroits à une distance de 5 à 12 milles du centre d’opération. » Le correspondant spécial de l’Alta California, témoin oculaire de ces derniers travaux, a publié à ce sujet un article fort remarqué et auquel j’ai fait plus d’un utile emprunt.