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imagination avait entrevu les différens partis qu’on pouvait tirer de la victoire, et, si on l’avait laissé faire, peut-être les événemens eussent-ils changé de face ; mais une volonté plus forte que la sienne a décidé de tout. Une indiscrétion autrichienne nous a appris que l’idée qui a triomphé à Nikolsbourg était l’idée du roi, car le roi avait son idée, et il n’en avait qu’une, et cette idée était de prendre, de prendre beaucoup, de prendre tout ce qu’il était possible de prendre… »

Sur un point, il n’y avait pas à hésiter : l’Autriche devait sortir de l’Allemagne. C’était le premier fruit de la victoire, et c’est pour cela proprement qu’on avait fait la guerre. Par l’éviction de l’Autriche, on atteignait deux buts : on donnait satisfaction tout à la fois aux intérêts de la grandeur prussienne et au sentiment national de l’Allemagne, lasse du dualisme et de ses tiraillemens. Il est vrai qu’elle a depuis changé d’avis, sans qu’on puisse l’accuser de versatilité. L’Autriche, dirigée par un homme supérieur, s’est appliquée à se rendre regrettable, et elle y a réussi ; mais alors l’esprit de réaction qui dominait dans ses conseils, le concordat, les louvoiemens d’une politique qui dans la question danoise tour à tour rendait la main à M. de Bismarck, entrait dans son jeu et par de brusques retours de pudeur ou d’effroi affectait de défendre contre lui la dignité de la diète de Francfort, toutes ces tergiversations, toutes ces inconséquences, avaient discrédité l’Autriche dans l’esprit des libéraux allemands, et ils étaient disposés à voir dans le triomphe de la Prusse un événement heureux et pour l’unité et pour la liberté de l’Allemagne. Quels que puissent être les torts de son gouvernement, Berlin est Berlin, c’est-à-dire un foyer de lumières et de haute culture, l’une des capitales de la pensée libre, et, comme on dit sur les bords de la Sprée, la ville de l’intelligence.

Évincer l’Autriche de l’Allemagne, c’était le premier pas. Cela fait, on avait devant soi deux systèmes de conduite, deux politiques, l’une difficile peut-être, mais généreuse, visant à résoudre la question allemande, à réorganiser l’Allemagne sous l’hégémonie prussienne, l’autre plus facile, d’un profit plus évident, plus palpable, mais conduisant peut-être à des résultats moins durables, une politique d’agrandissement et de conquête. On pouvait choisir entre les annexions et la présidence d’une nouvelle confédération germanique embrassant l’Allemagne, et toute l’Allemagne, reconstituée sous les auspices de la Prusse, car prétendre concilier les deux choses, il n’y avait pas d’apparence. Toute vraie confédération demande un certain équilibre de forces entre les états qui la composent ; telle qu’elle était avant 1866, la grandeur de la Prusse était déjà un obstacle et un danger pour une organisation fédérative de l’Allemagne. L’agrandir encore, c’était témoigner clairement, pour