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mités cachées de cette apparente coalition germanique qu’on avait à combattre, les impuissances secrètes de l’Autriche et les pieds d’argile du colosse, le néant politique et militaire des états du sud, le défaut de cohésion de l’ennemi, la faiblesse du commandement, l’incertitude des conseils, le décousu et les lenteurs de l’exécution, le désaccord inévitable de volontés qui n’étaient que des nolontés, et qu’avec un peu d’audace on aurait bientôt à sa merci. Oser et faire vite, à ce prix était le succès. Il suffisait de frapper un grand coup, et le fantôme de l’Allemagne coalisée se dissipait comme une vapeur ; un seul coup d’épée, c’en était assez pour mettre fin, comme Renaud, à tous les enchantemens, et pour se frayer au travers d’une forêt pleine de menaces un grand chemin au bout duquel on apercevait Vienne et ses portes ouvertes.

La force apparente de l’ennemi n’était pas la seule chose qui alarmât le roi Guillaume. Jamais souverain, il faut en convenir, n’assuma sur sa tête une responsabilité plus redoutable que celui qui en 1866, contre la volonté expresse de son peuple et de son parlement, précipita la Prusse dans une guerre que les uns traitaient d’insensée, les autres de criminelle. Si l’événement n’avait pas répondu aux espérances, si cette guerre, voulue par deux hommes et condamnée par toute une nation, avait conduit à une issue fatale, ou si l’on n’avait été seulement qu’à demi victorieux, que serait-on devenu ? La royauté prussienne eût été condamnée à se présenter devant son parlement dans l’attitude d’un pénitent, à faire amende honorable et à battre sa coulpe, à dire tout haut en se frappant la poitrine : « Je me suis trompée, et c’est vous, petites gens, juges et assesseurs, professeurs et fabricans, c’est vous qui aviez raison. » Que devenait son prestige, et la majesté du droit divin, et l’infaillibilité de cette providence particulière dont on s’était réclamé, et dont les oracles se seraient trouvés menteurs ? S’humilier devant l’Autriche, passe encore : de couronne à couronne, l’honneur est sauf ; mais s’humilier devant une chambre ! De tels abaissemens sont mortels au cœur d’un Hohenzollern. Aussi bien n’était-ce pas donner des armes à la révolution endormie, mais toujours vivante, car on ne persuadera pas au roi Guillaume que la révolution soit morte. Ce spectre rouge qu’il a vu se dresser un jour sur les barricades de Berlin, qu’il a combattu et vaincu dans le Palatinat et dans le grand-duché de Bade, hante quelquefois encore son imagination, sujette aux effaremens. M. de Bismarck dut conjurer ce spectre. Sa tête, très lucide et très poméranienne, n’a jamais cru aux fantômes ; mais ceux qui y croient ne souffrent pas qu’on en plaisante, et le plus sûr moyen de les guérir de leurs terreurs, c’est de commencer par leur donner raison. Certainement le sceptique ministre de sa