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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

le disait le grand Frédéric à propos de sa confédération des princes allemands, ce n’est pas une affaire de quinze jours de mettre tant de têtes sous un chapeau, — d’autant plus que ce chapeau est un casque.


II.

Si la logique gouvernait les affaires de ce monde, il n’y aurait plus pour le moment de question allemande. Nous disons pour le moment, tout est provisoire en politique ; mais c’est quelque chose pour la paix du monde qu’un provisoire qu’on renonce à discuter, et qui a par là quelque chance de durer : c’est une sûreté qu’une ambition qui se déclare satisfaite, et qui, sans se refuser d’avance aux occasions que l’avenir lui réserve, renonce à les faire naître. La fortune, qui est aveugle, n’a pas de passions, partant point d’impatience ; si on la laissait faire, les peuples seraient assurés de longs intervalles de repos que l’inquiétude des ambitions réussit à troubler et à raccourcir.

Les murailles du Palais-Bourbon n’ont pas oublié les accens pathétiques de M. Rouher révélant à la France les anxiétés qui avaient assailli son gouvernement au lendemain de Sadowa. Déconcerté par l’événement, se trouvant aux prises avec une situation qui répondait si peu à son attente, qu’allait faire le cabinet des Tuileries ? Quelle conduite lui conseillaient ses intérêts ? La main sur la garde de son épée, la France se contenterait-elle de parlementer avec le vainqueur pour modérer ses convoitises, ou, jetant le fourreau, allait-elle tenter de dicter ses conditions et de réclamer sa part dans les dépouilles ? Grave question que la nécessité a résolue tout autant que la sagesse. Ces perplexités qui troublaient le sommeil des hommes d’état français, la Prusse n’a pu en être exempte. Elle avait créé l’événement, qu’allait-elle en faire ? Cette éclatante victoire qu’elle devait à l’audace heureuse d’un grand politique, au patriotisme de ses peuples, au courage et à l’admirable discipline de ses armées, et, pour tout dire, à la complicité des circonstances et aux complaisances de la fortune, quel parti en allait-elle tirer ? Décision d’une importance extrême, de laquelle dépendaient les destinées de l’Allemagne et de l’Europe. Pour qui et pour quoi s’était battu l’heureux vainqueur ? Qu’avait-il en tête ? Une reconstitution de l’Allemagne conforme aux intérêts et aux vœux nationaux, ou l’agrandissement de la Prusse ? Était-il le champion de l’idée allemande ou avait-il entendu faire une guerre de conquête et d’annexions ? Je ne sais s’il hésita ; mais il ne fut pas long à prendre son parti, et l’Allemagne put se convaincre que depuis Frédéric II la royauté